ART | CRITIQUE

Solitudes

PBarbara Le Maître
@12 Jan 2008

Sept œuvres, sept démarches a priori distinctes, tant au niveau des matériaux et des supports, qu’à celui des questions mises en œuvre(s). Sept pièces solitaires, donc ? Oui et non.

Solitudes? Sous cet intitulé quelque peu dialectique, la Galerie Michel Rein présente une exposition collective, qui confronte sept œuvres relevant d’autant de démarches a priori distinctes, tant au niveau des matériaux et des supports, qu’à celui des questions mises en œuvre(s). Sept pièces solitaires, donc ? Oui et non.
Oui, l’œuvre est solitaire, dans la mesure où telle pièce montrée constitue parfois l’unique fragment prélevé sur un ensemble bien plus vaste : l’autoportrait pictural de Marta Dell’ Angelo est un échantillon, le singulier représentant d’une série dont il semble désolidarisé.

Non, parce que le même autoportrait, tout pictural qu’il est, constitue visiblement une réflexion sur la photographie — une tentative de déplacement et de dérèglement du très classique «instantané au miroir», appareil inclus —, et parce qu’il dialogue avec une photographie accrochée juste à côté, laquelle dissimule un portrait dans un rétroviseur (Ottonella Mocellin). Sensation troublante engendrée par cette mise en rapport : la peinture semble relever autant, sinon plus intensément du photographique, que la «vraie» photographie. Sans doute, tout l’intérêt est là : juxtaposer pour créer des liaisons productives, c’est-à-dire pour montrer qu’il y a, par-delà l’altérité plastique et l’autonomie supposée de chacun des travaux présentés, des correspondances de pensée.

L’une de ces correspondances — pas la seule mais, à coup sûr — concerne le traitement ou la mise en forme de la matière-temps. Prolongeant des expériences engagées, entre autres, par le cinéaste Martin Arnold dans le domaine du found footage, et dans une perspective critique comparable, Candice Breitz démonte et remonte quelques plans d’une célèbre séquence de cinéma. Le remodelage du temps va dans le sens de la discontinuité la plus vive, en sorte que l’actrice de ce film pour teen-ager, littéralement disloquée, se transforme en poupée hystérique : Olivia ne chante plus, elle braille et bégaie, hopelessly devoted to scansion…
Dans une perspective exactement inverse, le très beau Blue Room Film Book de Rachel Khedoori entreprend de façonner, à partir d’une série de photographies présentées à la manière d’un gigantesque flip book, un temps doté d’une continuité quasi filmique. Page après page, le visiteur éprouve la sensation d’un espace toujours plus extensible, et la chambre bleue se déplie, se déforme, se reforme, bref, fluctue au rythme d’un temps dont l’ouvrage parvient à rendre toute la plasticité (à tort ou à raison, on pense à Michael Snow). Précisons que le film book, comme le souligne son titre, constitue la traduction d’une proposition figurative développée, ailleurs, en images mouvantes : une suite photogrammatique, donc.

On mentionnera encore l’installation de Julien Friedler. Cette installation est liée à une performance dont elle reprend les principaux motifs, autant d’éléments constitutifs de l’univers d’un certain Jack Balance. L’ensemble brasse de nombreuses questions dont la plus frappante engage la créature humaine. D’abord ramené à sa défroque, à une collection de postiches et de prothèses, l’homme apparaît aussi composé pour partie d’imaginaire filmique : la performance rejoue un thème éminemment cinématographique, celui de la créature, mi-humaine, mi-animale, exhibée à la foire ou au cirque et qui finit, excédée, par briser sa cage (voir le Double assassinat dans la rue Morgue de Robert Florey, par exemple). Ce n’est pas tout, car l’homme est encore une chose historique : la pile de livre posés à même le sol — Nietzsche, Kafka, etc., tous brûlés — se charge de nous le rappeler, qui prend explicitement en charge la mémoire d’autodafés.

— Candice Breitz , Double Olivia (Hopelessly Devoted to you), 1977-2000. Installation : 2 DVD diffusés en boucle simultanément.
— Marta Dell’ Angelo, Autoritratto appogiata al muro, 2002. Huile sur toile. 150 x 170 cm.
— Ottonella Mocellin, Highway to Hell, 1998. Tirage sur aluminium. 66 x 100 cm.
— Rachel Khedoori, Blue Room Film Book, 2000. Tirage numérique. 36,85 x 25,4 x 12 cm.
— Christopher Williams, Boeing Retrofit Overhead Stowage Bins (Closed) , (Nr. 1- 4), 1997. Tirage argentique. 64,5 x 74,5 cm.
— Johannes Wohnseifer, Schlecht bewachte Rampen (späte Neunaiger Jahre), 2001. Plastique, bois AK 47, acrylique. Dimensions variables.
— Julien Friedler, J. B., 1998. Installation : vidéo, carte de visite de Jack Balance, sablier cassé, compas, chaise à coussin rouge, téléphone portable, faux nez avec moustache, bonnet therapy ?, boule miroir aux alouettes, pancarte on m’appelle Jack Balance, tee-shirt rouge, paire de chaussures rouge, peluches Tom-Tom, ensemble de livres, pinceau, carton d’invitation Solitudes.

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