ART | CRITIQUE

Invisible Colors

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

L’exposition Insible Colors invite les sens à l’éveil, prend le corps du regardeur à témoin d’une temporalité éclatée. Les œuvres, en piochant dans le vocabulaire du banal, s’expérimentent ici et maintenant, mais se prolongent dans une évocation lancinante.

A l’heure d’une actualité riche en biennales et foires de toutes sortes, d’un marché exponentiel, qui semble faire la part belle aux spéculations plutôt qu’aux œuvres, l’exposition Invisible Colour à la galerie Marian Goodman rappelle que l’art est avant tout question de sensations, d’expériences et, souvent, de patience. Au déballage d’œuvres en quantité propre à la saison, qui impose consommation et digestion — autant qu’indigestion — rapide des œuvres, l’exposition invite le spectateur à s’arrêter et à éprouver les créations présentées.

La curatrice de l’exposition, Karina Daskalov, s’est inspirée de The Sight of Death: An Experiment in Art Writing de T.J. Clark, qui suggère que l’art n’est jamais du domaine de l’instant, car il nécessite une certaine imprégnation, un certain engagement de la part du regardeur. Ainsi, les œuvres exposées interrogent nos perceptions et cherchent à les étirer dans le temps.

En entrant dans la galerie, le spectateur est d’abord confronté à une œuvre motorisée qui perpétue les recherches sur le mouvement perpétuel menées, par exemple, par Jean Tinguely et les acteurs de l’art cinétique. La composition de Ventilalor de Gabriel Orozco est simple: un ventilateur de plafond tourne sur lui-même, des rouleaux de papier toilette posés sur chacune des palmes. L’accumulation de ces deux éléments extirpés du quotidien produit une sculpture en rotation absurde et ironique, qui interroge le rapport du corps à l’espace qui l’environne. Le papier toilette, qui pend en franche le long des palmes, invoque un désir tactile, l’envie enfantine de le tirer.

La banalité des objets utilisés par Orozco fait écho à ceux qui constituent l’une des premières œuvres de Dominique Gonzalez-Foerster: un réveil digital supportant un vase contenant un lys blanc. Cet assemblage de ready-made, comme une Vanité, évoque le temps qui passe, révèle une temporalité en perpétuelle évolution: les minutes défilent sur l’horloge en attendant que la fleur fane.

La mise à contribution corporelle du spectateur est doublée, dans l’œuvre d’Oswald Macià, d’une expérience sensorielle. Tels de grands encensoirs liturgiques effectuant un mouvement perpétuel de pendule, les globes motorisés de Calumny diffusent et mélangent des odeurs dans l’espace d’exposition. Si l’empirisme physique relève de l’instant, la perception de l’œuvre se prolonge, par les lancinants mouvements latéraux, par l’évocation culturelle et par l’enivrement des parfums, dans des temporalités élargies.

Autre artiste, autre sens: Aaron Young teste notre vue et joue avec les effets de la persistance rétinienne. Le titre de l’œuvre est une clé, un mode d’emploi à suivre: fixer quatre points au centre de la sérigraphie pendant 30 secondes, puis fermer les yeux et pencher la tête. Il en résulte la survivance d’une forme, d’un fantôme. L’œuvre se perpétue ainsi dans l’esprit et la mémoire du spectateur sous forme d’un flash subliminal.

Au sous-sol, la projection de James Coleman propose la répétition d’une même diapositive: une vue quelconque d’une place milanaise. Chaque passage est l’occasion d’un commentaire précis et analytique, proche du ridicule d’un exposé d’histoire de l’art et de l’humour d’une description à la Perec, mais aussi fragmentaire, ne rendant compte que d’un détail spécifique de l’image, jamais de sa totalité. Seul l’accumulation et la durée permettent d’entrevoir la possibilité d’une compréhension générale.
La seconde projection, réalisée par Marcel Broodthaers, combine film en 16 mm et diapositives. De la même manière que Coleman, Broodthaers cherche, en opposant ensemble et fragment, fixité et mouvement, à donner une consistance temporelle à une peinture anonyme achetée à un antiquaire.

Gabriel Orozco
— Ventilator, 1997. Ventilateur et papier toilette. Dimensions variables.

Oswaldo Macià
— Calumny (Envy, Hatred, Ignorance, Truth), 2007. Globes en plastiques, parfums, petits moteurs. Dimensions variables.

Aaron Young
— Focus On the Four Dots in the Middle of the Painting for Thirty Seconds, Close Your Eyes and Tilt Your Head Back, 2007. Sérigraphie. 147 cm de diameter.

Dominique Gonzalez-Foerster
— Sans titre, 1985. Vase, réveil digital, fleur. Dimensions variables.

James Coleman
— Slide Piece, 1972-1973. Images projetées avec narration audio synchronisée, version française.

Marcel Broodthaers
— Voyage en mer du nord, 1974. Film 16 mm. En boucle.
— Bâteau Tableau, 1973. Diaporama de 80 diapositives
— Voyage en mer du Nord, 1974. 38 pp., 15 x 17,5 cm. Boîte de film vide, 18,5 x 2,5 cm.

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