ART | CRITIQUE

William Kentridge

Vernissage le 26 Avr 2008
PMuriel Denet
@19 Mai 2008

Aux antipodes des effets spéciaux des technologies numériques, l’art de William Kentridge, bricolé et manuel, est fondé sur les principes élémentaires de la perception. Le livre, de papier et d’encre, est le lieu de rencontre d’un auteur avec ses lecteurs, qui chacun projette sur ses pages un monde imaginaire.

Depuis la fin de l’apartheid, depuis que l’œuvre n’est plus directement engagée dans la résistance à ce système politique inique, l’art de William Kentridge se voue à la tentative non pas tant de réenchanter le monde que d’inventer des mondes enchantés.
Les illusions optiques, les trucages et autres trompe-l’œil, à l’œuvre dans les animations des années 80, à l’ambiance carcérale et à l’absurde kafkaïen, sont désormais au service d’une quête quasi don quichottesque, comme s’il fallait effacer un siècle d’horreurs, et, surtout, retenir la fuite inexorable du temps.

Aux antipodes des formidables effets spéciaux des technologies numériques, l’art de William Kentridge, bricolé et manuel, est fondé sur les principes élémentaires de la perception, et de ces mécanismes, physiologiques et physiques, qui le fascinent.

Les deux précédentes expositions chez Marian Goodman en avaient été une démonstration merveilleuse, au sens magique du terme. Après un remake du Voyage dans la Lune de Méliès, et le théâtre de Mozart et sa Flûte enchantée, l’œuvre emprunte la forme et la matière du livre. Ce sont en effet des planches originales de Everyone Their Own Projector, publié récemment, qui sont accrochées aux cimaises de la galerie.

Le livre, de papier et d’encre, est le lieu de rencontre d’un auteur avec ses lecteurs, qui chacun projette sur ses pages un monde imaginaire.
William Kentridge prend cet acte magique au pied de la lettre. La page devient le matériau tactile de l’œuvre, avec une prédilection particulière pour les dictionnaires, encyclopédies, traités techniques et scientifiques, et autres manuels de conversation. Bref des compilations de savoirs, souvent désuets, qui semblent datés de l’époque primitive du cinéma, d’avant les grandes tragédies du siècle.

Ces pages déchirées, coupées, collées, biffées, sont aussi le support de dessins à l’encre qui flottent comme des réminiscences de l’histoire de l’art ou de la littérature (Berthe Morisot, et la Suzon des Folies Bergère de Manet, les nus de Degas, ou les héros de Cervantès…). La magie réside dans la fusion de ces matériaux hybrides, le froissé d’un lit avec les déchirures d’une page, ou les fissures qu’elles ouvrent sur un corps africain.

Parfois de gros caractères, à l’encre et au pochoir, inscrivent, sur les collages, doutes et aveux d’impuissance. La mise en ordre du monde par le savoir positiviste des encyclopédies et des traités scientifiques du siècle passé est joyeusement mise à mal : «Découvrez des anti futuristes fiables», réclame l’une de ces surimpressions.
La nostalgie de l’artiste pour un temps où main et machine s’alliaient dans des créations merveilleuses confère à ces agencements le parfum de la désillusion : «Tu ne trouveras aucune nouvelle terre, aucune nouvelle mer». Ou la fin des utopies.

William Kentridge
Everyone Their own Projector. Dessins orignaux du livre. Techniques mixtes, avec crayon, stylo et encre sur papier, et collage.

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