PHOTO | CRITIQUE

Vraisemblances

PAntoine Isenbrandt
@12 Jan 2008

«Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable», cette phrase de Nicolas Boileau ainsi que son exact contraire sont mises en balance par les douze artistes d’une exposition de groupe où différentes approches de la vraisemblance sont traitées à travers photographies et film.

Alors que foires et biennales battent leur plein, alors que les périodes de bilans, grands résumés, tirages de traits annuels et autres examens scolaires se présentent, voici venu le temps, pour les galeries d’art contemporain, de prendre l’allure de stands de foire et nous offrir «Group», «Summer» ou autres «Summer Group» shows.
L’exercice se révèle le plus souvent décevant si l’on considère ces structures qui par facilité, ou désarroi curatorial, ont tôt fait d’accoter des œuvres de réserve que les différences de propos, voire de qualité, empêchent de dialoguer.

Loin de ces trous noirs discursifs, la galerie Xippas se pose en véritable lieu de culture et de réflexion en nous proposant une thématique: la vraisemblance.
Seize photographies ainsi qu’une vidéo questionnent la véracité du visible, la démarche de regarder le monde par rapport à celle de le voir, les rapports entre les objets et leur perception: «Les regards et les choses» en quelque sorte.

Les mannequins de vitrine de Valérie Belin, ainsi que la poupée sise au bord d’une mare de Zelda Georgel dégagent une hyperréalité malsaine, et cela au sens premier de la philosophie post-moderne. La première évoque la plastique parfaite des modèles maquillés puis numériquement retouchés des magazines, tandis que la seconde convoque en nous l’image de l’Ophélia de Shakespeare figée à jamais par John Everett Millais (John Everett Millais, Ophélia, 1851-1852, Tate Gallery, Londres). Toutes deux sont des dérivés d’images connues de notre mémoire visuelle au contact desquelles la conscience perd sa capacité à distinguer la réalité de l’imaginaire.
Leur démarche revient à prêcher le faux pour obtenir le vrai, comme une tentative de questionner la réalité en traitant le factice à la manière de l’organique.

Les «tableaux» agencés en pigments bruts de Vik Muniz, les manipulations d’image de Dionisio Gonzales et les distorsions d’échelle de Petros Chrisostomou provoquent des troubles de l’ordre du visuel. En effet, nul doute à première vue qu’il s’agit d’une prise de phase de lune pour le premier, d’une vue de capharnaüm urbain pour le second et d’une vision surréaliste pour le troisième. Pourtant, en y regardant — cette fois — bien, en s’approchant, en scrutant les détails, on s’aperçoit que l’œil est trompé. La dichotomie entre voir et regarder est proclamée.

Les poupées érotiques de David Levinthal et les Film Stills dessinés de Carine et Elisabeth Krecké, nous trompent sur leur nature en nous tenant dans le flou. Les images sont brouillées afin que la nature du sujet soit équivoque, de telle sorte qu’on prendrait les premières pour de véritables danseuses harnachées et dénudés, et les secondes pour des photographies de séquences de films. L’image nous induit en erreur et fait mentir la réalité.

La chaise flottante retenue par sa corde de Philippe Ramette et les patchworks de désert de Scarlett Hooft Graafland sont de pures images irrationnelles, formellement impossibles et conséquemment irréelles. Pourtant l’inversion de pesanteur du premier et les inclusions de linoléum dans les niches formées par les affleurements de sel du désert Bolivien de la seconde, sont réalisés à partir d’éléments réels, en tant que dispositifs à expérimenter physiquement ce qui ne devrait être qu’un processus de pensée.

Les œuvres exposées illustrent parfaitement le fait que le vraisemblable n’est pas toujours vrai, et que le vrai n’est pas forcément vraisemblable. La vraisemblance comprend en elle une valeur de vérité déterminée et identifiable, assortie d’un coefficient d’incertitude, celui-ci même qui pousse vraisemblablement les artistes à traiter ce thème.

Valérie Belin
— Sans titre (03 01 08), 2003. Serie «Mannequin». Photographie noir et blanc. 155 x 125 cm.
— Sans titre (03 01 02 ), 2003. Serie «Mannequin». Photographie noir et blanc. 155 x 125 cm.

Sonja Braas
— The Quiet Dissolution – Lava Flow, 2005. C-print. 185 x 150 cm.

Petros Chrisostomou
— Big Wig 5, 2006. Photographie couleur. 150 x 120 cm.
— Bananadosh, 2006. Photographie couleur. 150 x 120 cm.

Zelda Georgel
— Essence 9 – Fond Mare, 2005-2006. Photographie couleur, diasec. 120 x 150 cm.

Dionisio Gonzalez
— Nova – Heliopolis II, 2007. Photographie couleur, diasec. 150 x 300 cm.

Scarlett Hooft Graafland
— Salt, Domestic Marble, 2004. Photograhie sur bihond sous plexiglass. 120 x 150 cm.

Carine et Elisabeth Krecké
— Sans titre #31, 2003. Dessin retravaille sur ordinateur, tirage argentique. 80 x 120 cm.
— Sans titre #28 (Hommage Rainer Werner Fassbinder), 2003. Dessin retravaille sur ordinateur, tirage argentique. 80 x 120 cm.

David Levinthal
— XXX Series #22, 1999. Polaroid. 60 x 50 cm.
— XXX Series #106, 1999. Polaroid. 60 x 50 cm.
— XXX Series #104, 1999. Polaroid. 60 x 50 cm.

Vik Muniz
— The Face Of The Moon, After John Russell (Pictures Of Pigment), 2007. Digital C-Print. 250 x 180 cm.

Claire-Lise Petitjean
— La Carriere, 2005. DVD. 7’39’’07. Clip.

Philippe Ramette
— Sans titre, 2007. Photographie couleur. 150 x 120 cm.

Boyd Webb
— Flight, 1989. Cibachrome. 158 x 122 cm.

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