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Vivre, l’homme et la bête

07 Mai - 15 Mai 2011
Vernissage le 07 Mai 2011

L’homme est-il incapable d’agressivité? A l’heure où l’humanisme demande à être pansé, la hiérarchie entre l'homme et l'animal apparaît comme un leurre que l’art s’est toujours efforcé de mettre en exergue.

Communiqué de presse
Jean-Michel Alberola, Barbara Puthomme, Jean Clerc, Céline Demonfaucon, Steffen Osvath, Aymeric Hainaux, Steinlen
Vivre, l’homme et la bête

L’homme s’est depuis longtemps placé en haut de l’échelle des êtres. Cette hiérarchie humaniste, visant à séparer l’animal de l’homme, s’appuie sur le clivage culture-nature. D’un coté le penseur, possédant le langage, la technique et la science, s’octroie la maîtrise des choses et des êtres. De l’autre, la bête, usant d’instincts et d’aptitudes innées, vit la nécessaire rudesse des besoins à assouvir et l’impuissance de ses imperfections. Est-ce à dire que l’homme soit parfait et incapable d’agressivité ? A l’heure où l’humanisme demande à être pansé, cette hiérarchie apparaît comme un leurre. De l’homme à l’animal et de l’homme à lui-même, l’art s’est toujours efforcé de brouiller les pistes. A Montigny-sur- Vingeanne, six artistes proposent leurs travaux dans le cadre de l’exposition « Vivre, l’homme et la bête ». Il y est question de rapports de forces et d’autorités mais aussi de relations au corps, au temps, et aux origines.

Les actes des hommes ne laissent pas indifférent Jean-Michel Alberola. Son oeuvre puise ses racines dans la mythologie, l’histoire de l’art, mais surtout les faits sociétaux, politiques et historiques. L’une de ces réalités a particulièrement marquée toute sa pratique artistique: Auschwitz. Haut lieu de la shoah, il s’y rendit avec son ami juif et économiste Michel Henochberg, et y réalisa une douzaine de dessins. Dix ans plus tard ils éditèrent ensemble le livre Sans titre Auschwitz, mai 1987–Paris, novembre 1996.

Pas de vérité assénée. Juste une conscience déroutante de venir après. Après les baraquements, les tours de guets, les barrières électrifiées, les voie ferrées. Des fragments de constructions humaines et d’éléments végétaux presque insignifiants. Des dessins aquarellés, vidés de toute volonté d’illustration, d’une figuration littérale trouant l’avenir d’une psychose de l’irréparable. L’artiste a dit son incapacité: «C’est blanc, aucune interprétation, c’est comme ça». Devant le traumatisme, toute l’oeuvre de Jean-Michel Alberola s’inscrit dans l’insaisissable mémoire de l’histoire. Le sceau de l’effacement et de la dénégation cherche à bousculer les consciences humaines.

Jean Clerc peint, modèle et photographie des espèces animales en série. Après des lièvres de face à l’acrylique, et des singes miniatures photographiés en très grand, l’artiste présente une série de «bustes d’hommes fauves et torses nus». Ces travaux renvoient tous aux portraits. Ici donc, des hommes, descendant logiquement des singes. Mais des photographies de dos, épaules plus ou moins velues, peaux plus ou moins colorées, têtes plus ou moins penchées.

Dans toute répétition, les formes, les masses, les lignes réitérées s’alignent dans leurs similitudes. Et en même temps elles se décalent et glissent vers des particularités parfois intimes. La répétition de la nudité dit quelque chose de la fragilité, la faiblesse des corps, face à un même fond rouge, lourd d’une tonalité presque bestiale. Et pourtant chaque grain de peau, chaque variation de lumière crée une atmosphère particulière qui pose la présence physique des êtres face à la négation de leur frontalité. «L’homme n’est bestial que lorsqu’il tourne le dos à son animalité». Jean Clerc joue de cette affirmation en replaçant l’homme dans son corps de vertébré.

Les oeuvres de Céline Demonfaucon naissent d’une relation profonde et subtile à la nature et à son microcosme. Elle en saisit des matériaux éphémères, des traces imperceptibles, qu’elle assemble intuitivement dans ses installations. La «sculpture» présentée ici semble au départ moins fragile avec ses deux modules semblables disposés en miroir. Pourtant, «partie de l’idée du paysage et de ses reflets», l’artiste explore encore des contrastes et les oppose.

Chaque module est constitué d’un petit assemblage posé sur une grande table. Dessus, diamétralement disposés autour d’une tige, des morceaux de tissus colorés et enroulés, sont coincés entre morceaux de bois et tables miniatures. Le tout forme un petit corps étiré de l’ordre du vivant, de l’organique compact, à peine posé sur ses pattes, prêt au départ. Dessous, une large surface géométrique de bois brut, inhérente à la technicité de l’homme, est perchée sur des piles trouant le vide inférieur. Cette hauteur inhabituelle en fait plus qu’un support, peut-être un piédestal évidé, presque un autel consacré à une vie fugitive. A moins qu’il ne s’agisse de sacrifices, celui «des convois de l’exode» qui passent au loin, à l’horizon. Céline Demonfaucon dresse encore une fois un équilibre précaire et dérisoire. Délicate existence, accrochée à ses bagages, qui d’un instant à l’autre peut disparaître.

Les travaux de Barbara Puthomme sont envahis par deux figures animales: le cerf et l’oiseau. Si des plumes de l’un, elle fait des paysages enfermés ou des croix aériennes, de l’autre, c’est la représentation qui s’impose. Le cerf comme maître des forêts est le pendant de l’homme, souverain des villes. En cela pourraient s’incarner les inégaux rapports de forces qui vouent le cerf à la mort. Devant des tableaux d’animaux morts allongés sur des écrins de velours, l’artiste présente une lecture chorégraphiée de son texte L’anima de l’hallali du cerf. La célèbre peinture de Gustave Courbet y est analysée, en appui à des références mythologique, chrétienne et beuysienne.

La bestialité déployée par l’homme est généralement occultée par une volonté de maintien de l’ordre du monde. Mais dans ces rituels de la chasse, la «quête de la mort» est comparable à une jouissance. Or si le cerf possède un caractère sacré, l’anima, qui le relie au divin au moment de sa mort, alors peut-être est-il pensable que l’homme recherche de manière occulte ce «dévoilement du divin». Barbara Puthomme renverse là les rapports de forces et affirme «la victoire finale de l’animal qui échappe au sacrifice».

La notion d’existence est au coeur des préoccupations de l’artiste allemand Steffen Osvath. Il s’approprie des moments de vie imprimés sur de vieilles photographies anonymes, leur redonne une nouvelle tonalité et les présente dans des cadres à l’ancienne. Par superpositions, ajouts de lignes ou d’indicateurs graphiques, par des jeux d’exposition à la lumière, il retravaille les fonds et les personnages. Des soldats se fondent en une masse épaisse, alors qu’un autre se retrouve décapité au milieu de chevaux.

Des femmes voilées se détournent, alors qu’une autre se retrouve en laisse tel un chien. Des enfants s’unissent dans un cri d’adoration dévorante. Et des fantômes cadavériques apparaissent, alors que les regards se perdent dans des secrets sanglants. Une atmosphère particulièrement forte et angoissante naît de ces biffures, de ces pointages et de la froideur picturale des images. Quelque chose de la soumission, de la cruauté et de la mort ressurgit. Steffen Osvath détourne la censure de l’inhumain refoulé. Il s’empare des vanités bestiales et destructrices des êtres oubliés pour les exposer à une lumière automnale. Se faisant, il confronte les êtres vivants et les soumet à leurs actes et à la durée de leur existence terrestre.

Vivant intensément ses émotions, Aymeric Hainaux est un musicien performeur associé au beat boxing. Devant le micro il émet des sons, joue d’une pédale d’écho (le seul effet), y ajoute quelques notes d’harmonica ou de cloches. Mais à le voir on comprend très vite qu’il ne s’agit pas d’imitation vocale. Sa voix, son souffle, sa respiration, tout son corps propulse des bruits ponctuels ou étirés, des battements sourds ou explosifs, des vides suspendus puis tranchés par d’extrêmes tensions. Des tonalités électriquement abstraites interfèrent, par secousses, par glissements, frémissantes ou fracassantes. Happant le mouvement et le temps dans l’injonction de déployer ce qu’il a de plus intérieur en lui, l’artiste pratique une «musique d’états».

Car rien n’est rejoué. Tout est dans l’improvisation de l’instant présent, dans la spontanéité maladroite de l’émotion brute. Le seul langage est celui du corps dans sa manière de sentir «le nectar des choses» et de le redonner en se faisant du bien. Tel l’animal vivant à la belle étoile, Aymeric Hainaux tente de restituer ce qui l’habite, ce qu’il accumule de ses expériences de la vie. Et ce qui l’habite semble être de l’ordre de ce qui est ressenti comme l’origine du sensible.

La démarche artistique de Steinlen est de toutes les causes, politiques et humanitaires. Révolté contre les inégalités sociales et sensibles au rapport de l’excès au manque il crée des oeuvres construites d’oppositions, érigées en diptyques. Il va jusqu’au fond de son engagement, visitant par exemple les prisons de femmes avant d’en rendre compte plastiquement. Il sera aussi l’un des plus actifs à témoigner de la tragédie de la Première Guerre mondiale, en se rendant directement au front.

Entre l’homme culturel et l’animal naturel, les rapports sont nécessairement complexes et inégaux. Mais la socialisation de l’homme le pousse dans des contradictions vaniteuses. Entre humanité et animalité, l’homme s’épuise, se perd, lutte ou se soumet. L’exposition Vivre, l’homme et la bête explore ses égarements et ses débordements. Ni ange ni démon, l’homme reste contraint à sa condition d’être vivant. C’est peut-être ce qui lui semble le plus aberrant, mais c’est aussi par cet état d’existence ambivalent qu’il peut accéder à l’essence des choses.

Catherine Le Dourner
Avril 2011

Tel un reporter, Steinlen réagit sur l’événement qui entraîne sa main, la pousse au trait. A partir de deux ou trois personnages, d’un rassemblement, d’un mouvement de foule, d’un fait divers ou d’un épisode populaire, l’artiste “figure” la morale de l’histoire de son temps. La ligne est toujours prompte et résolue à saisir “l’ordinaire” de la vie. Poursuivant la transcription journalière de ce qu’il voit, de ce qu’il pense, aux prises avec l’actualité sociale ou politique, la ligne, hachée ou continue, peut tout autant appréhender son sujet à la manière de Daumier qu’à celle d’un Toulouse-Lautrec. L’écriture incisive et ramassée ordonne l’espace de la feuille et affirme la portée humaniste de ses oeuvres.

L’exposition a lieu impasse du Château, lieu habituel d’ArtBFC, mais aussi à 150 m, chez Elsbeth et Hans Schüder, 6, rue Sainte-Croix, à côté de l’église, en plein coeur du village.

Visite commentée : le 14 mai à 17h00

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