PHOTO | CRITIQUE

Ville perdue

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Simon Boudvin propose avec ses photomontages un mode d’habiter l’image. D’abord le paysage tel qu’il s’est fixé sous nos yeux, puis l’événement, l’acte de pensée qui se creuse une possibilité dans la photo, par retouches rigoureuses.

Simon Boudvin présente six photomontages du chapitre français de son travail, soft anomalies de paysages alignés sur l’horizon au mur de la galerie, selon un gradient d’urbanisme : du centre ville parisien (où Marianne subit un lifting à l’abri de nos regards, République), à la campagne (qui n’en est plus une, sinon un retour de cabane, Pylône). En vis-à-vis, l’artiste (et, étudiant en architecture…) a installé quelques cent vingt fenêtres à guillotine dans deux parois de la galerie. Ceci n’est pas une maquette…

A Ville perdue, un immeuble haussmannien s’élève de quelques étages au dessus des toits zingués du Paris carte postale (Haussmann), les maisons individuelles s’emboîtent dans un effort de collectivité improbable (Semi-collectif), et les châteaux d’eau poussent en forêt hétéroclite, champignons convoqués par un immeuble cousin (en passe d’être détruit) sur la colline de Saint-Etienne (Montreynaud)…

Dans un monde pas si loin du nôtre, Simon Boudvin travaille ses images avec la patience d’un rêveur terrestre. Les photomontages, à mi-chemin entre la photo-souvenir-au-bord-de-la-route et le vrai-faux projet architectural, composent avec les données du monde socio-physique, en traduisent visuellement les anomalies existantes : urbanisation non raisonnée, défiguration de paysages, habitats bâtards…
L’idéal est maintenu à sa distance d’idéal (pas de prises de vue rapprochées chez Simon Boudvin), la ville est «perdue» comme le sont les lieux dits, et tant de lieux communs où se figent les idées. Mais, Utopie est là, cachée sous le titre de l’exposition, et sous la pelouse verte de l’image.

Simon Boudvin propose avec ses photomontages un mode d’habiter l’image (et plus si affinités). D’abord le paysage tel qu’il s’est fixé sous nos yeux (inattentifs ?), puis l’événement, l’acte de pensée qui se creuse une possibilité dans la photo, par retouches rigoureuses.
Ou : sous la pelouse, une taupe creuse foules de galeries, laissant pour seul indice de son labeur quelques monticules de terre qui troublent l’ordre du jardin. Ici la taupe expose au jour les limites contenues dans certain raisonnement : les rues se refusent la communication entre les gares (Les Deux gares), la voie rapide aérienne tourne en boucle («La taupe est aveugle mais creuse dans une direction déterminée», disait Helas pour moi ! de Godard).

Interrogé sur la science fiction, Simon Boudvin hausse les épaules, cite, peut-être, les monades urbaines de Silver Berg, mais préfère se situer dans le champ du «beaucoup plus probable». Tout est là.
Comme au plafond de ma chambre, les poutres ne demandent qu’un peu d’imagination pour devenir une cabane, et le renfoncement sous la porte fait déjà un banc confortable. Et si elle n’était une installation dans une galerie je pourrais facilement escalader Faces, voire en secouer l’intérieur.
C’est donc sur Little Nemo que nous achevons la conversation, sauf qu’à mon réveil je ne serai peut-être pas dans mon lit mais sur le toit d’un gratte-ciel, la ville est mon point de départ.

Simon Boudvin
— Haussmann, 2005. Tirage lambda. 85 x 75 cm.
— A86, 2005. Tirage lambda. 40 x 50 cm.
— Semi-collectif, 2005. Tirage lambda. 50 x 60 cm.
— République, 2004. Tirage lambda. 50 x 40 cm.
— Pylône, 2003. Tirage lambda. 76 x 108 cm.
— Montreynaud, 2005. Tirage lambda. 60 x 76 cm.
— Faces, 2005. Matériaux mixtes. 505 x 240 x 280 cm.

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