ART | CRITIQUE

Vice de Forme: In search of Melodies

PEmmanuel Posnic
@30 Oct 2009

"Vice de forme" est une exposition en deux temps : à la FIAC d’abord puis chez Michel Rein. Saâdane Afif y déploie le nouveau volet d’un projet plus vaste visant à redéfinir les contours et le sens de l’exposition…

A vrai dire, l’exposition de Saâdane Afif commence réellement à la FIAC, la Foire internationale d’art contemporain édition 2009. Dans la présentation des lauréats du prix Marcel Duchamp qui récompense l’artiste français de l’année, Saâdane Afif occupait l’un des quatre stands avec une simple affiche. Une annonce du projet chez Michel Rein: «Vice de forme: In search of melodies».
A la suite du titre, le générique des acteurs du projet, des artistes, critiques, écrivains et musiciens. Jörg Heiser, Denicolai & Provoost, Olivier Babin, Agnes Wegner, Gabriel Loebell, Ina Blom, Jean-Pascal Flavien, Mick Peter, Ovül Durmusolu, Judicaël Lavrador, Mathew Hale et Gyonata Bonvicini se sont tous prêtés au jeu de l’artiste. Et le jeu était simple: écrire une chanson sur le thème de la sculpture qui occupe le centre de la galerie Michel Rein.

Retour donc dans la galerie du Marais. Cette sculpture minimaliste (un cylindre, une sphère et un cube) posée sur une plateforme tournante synthétise deux artefacts de la culture contemporaine. La célèbre et très suggestive sculpture de Man Ray, Presse-papiers à Priape de 1920 combinée ici avec la modélisation d’un dessin de Reiser en 1974 figurant une centrale nucléaire.
En une connexion, le strip post soixante-huitard rejoint l’une des étapes décisives de la modernité. Comme si la filiation allait de paire, comme si ces deux pirates de la libre-pensée pouvaient finalement se rejoindre dans une jolie pirouette conceptuelle, situation incongrue mais pas totalement inconsciente, unissant dans un même objet le sexe masculin et le temple de la puissance nucléaire.

Quel visage pouvait donc bien prendre ces chansons sinon celui de l’amour vendangé? Accrochés sur le mur à proximité, les textes et partitions reprennent en chÅ“ur le chapitre de l’échec tourmenté. Une sorte de logorrhée douloureuse qui verse par moment dans la mièvrerie ou dans la vengeance froide. Le tout à prendre avec dérision.
Saâdane Afif ne s’est pas contenté de placarder ces chansons. Il leur a trouvé la ritournelle adéquate et, avec la complicité du pianiste Louis-Philippe Scoufaras, les a même fait jouer le soir du vernissage. D’où l’affiche de la FIAC annonçant l’événement musical.

Ce qu’il en reste dans l’exposition? Un piano droit jouant les partitions enregistrées du premier soir. Avec les hésitations, les ajustements d’un répertoire à peine esquissé. In Search of Melodies: en attente de, dans l’espoir d’arriver au terme de cette histoire. Car pour Saâdane Afif, il s’agit bien là d’une histoire dont l’exposition ne présente que la nouvelle séquence.

L’acte 1 n’a pas débuté à la FIAC en réalité. Il faut remonter à 2004 avec Melancolic Beat pour rencontrer les prémices de ce projet colossal que chaque événement vient alimenter. A chaque fois, ses sculptures sont soumises à l’interprétation des autres, amis artistes, critiques ou écrivains. Saâdane Afif est un chef d’orchestre, autant à la baguette prompt à diriger ses troupes qu’au service de celles-ci lorsqu’il invite ses hôtes à «créer» l’exposition.
Ce qui compte n’est pas tellement l’œuvre mais son écho, ou sa réverbération pourrait-on dire. Effleurer de nouvelles perceptions de l’œuvre, imaginer le son et la chanson de la sculpture. Que ce soit un moment de sabordage de son travail ou au contraire un émerveillement. L’artiste n’intervient que sur la forme: dans la musique sur laquelle les mots des autres viennent se suspendre; dans la mise en scène des objets, toujours très sobre, dans ce subtil paradoxe qui les place à la limite de la visibilité alors qu’ils sont au cÅ“ur de la vision.
Saâdane Afif rejoint là, dans cette stratégie évitement / interpénétration, le geste symbolique de Cadere, l’un de ses références majeures.

En somme, c’est tout le territoire de l’exposition qui s’en trouve déplacé. L’œuvre déploie ses langages, s’extirpe de sa présentation et s’imagine une histoire plus vaste. Au-delà de la sémiologie pure, Saâdane Afif donne du sens à la notion de propriété collective, à l’idée de partage des savoirs et du sensible.
Le 25 octobre dernier, l’exposition avait décidément bien débuté à la FIAC. Saâdane Afif y recevait le prix Marcel Duchamp 2009 pour «son travail de collaboration mené ces dernières années avec des musiciens, des critiques et d’autres artistes [qui] lui permet d’envisager de nouvelles formes de réception de l’art», comme le précise Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne, qui à l’automne 2010, offrira au jeune lauréat les cimaises du Centre Pompidou.

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