PHOTO | CRITIQUE

Une histoire à soi

PNathalie Toulinat
@12 Jan 2008

La résidence de la commissaire d’exposition Anna Johansson à La Galerie (Noisy-le-Sec) débouche sur l’exposition Une histoire à soi. Sept artistes sont invités autour de la fiction et des moyens de sa transmission.

Les sept artistes invités par la commissaire Anna Johansson envisagent notre rapport à la fiction comme une manière de renouveler la perception de la réalité. L’exposition Une histoire à soi propose une vision prospective des manières de transmettre ou de reconstruire un récit. Mais quels récits renouvelle-t-on au juste? Ne s’agit-il pas d’une déconstruction encore plus profonde et lacunaire de ce que l’on nous montre et de ce qui est raconté?

La vidéo Molly d’Aurélien Froment décrit à rebours la tentative de s’emparer d’un récit et de le transmettre. Werner Herzog, maquette réalisée par l’artiste cinq ans auparavant à partir du film des années 1980 Fitzcarraldo de Herzog, restitue l’histoire d’un ingénieur irlandais de la fin du XIXe siècle. Celui-ci part au Pérou afin de construire un opéra dans la forêt amazonienne, et se voit obligé de faire passer un bateau en pleine terre. Pour les besoins du film, Werner Herzog a reconstitué un bateau.
Dans la video Molly, l’oncle et la tante d’Aurélien Froment partent au Pérou sur les traces du tournage. En caméra embarquée, leurs souvenirs de vacances retracent les strates de ces réécritures d’histoires. La collusion se produit lorsque dans la forêt surgit l’épave vieillie par le temps.

Cette recherche archéologique fait écho à la série photographique de Marie Andersson, Antichambre, dans laquelle des tracés architecturaux, associées à l’ombre sur un mur d’un appareil photo, provoquent une mise en abyme. Entre reconstitution d’une séance photo, archives des espaces privés de l’époque moderne et dimension mnémonique, la photographie cristallise le moment présent et ses fictions suggérées.
La figure métonymique de l’installation Volume intérieur de Guillaume Leblon confère à l’objet post-minimaliste une actualité certaine. Une moquette présentée enroulée, mais taillée à la dimension de la salle qui l’accueille, suscite une série de questions sur les raisons qui ont conduit à son abandon: enveloppe d’un corps inconnu, simple moquette d’une autre exposition, etc. A quoi sert la frustration, sinon à exciter l’imagination et à enclencher un processus herméneutique?

Chez Karlotta Blöndal, le mot «hôtel» est dessiné sur un mur en lettres de style symboliste. A terre, la photographie Her Story représente en noir et blanc un hôtel en feu. L’image est reproduite en poster et mise à la disposition des visiteurs invités ainsi à s’approprier un extrait de l’œuvre, dans la perspective que le poster suscite, entre le mot et l’image, une infinité de récits.

Les photographies de Graham Gussin de bords de route noyés dans le noir font naître la sensation d’avancer à l’aveuglette. Treize paysages nocturnes de petite dimension évoquent la pellicule d’un roman noir dont le mystère achopperait par faiblesse de conviction.

Le dispositif, que Victor Alimpiev intitule dans la vidéo My Breath «invention d’espaces lyriques ordinaires», présente en plan serré les chants et chuchotements de deux chanteuses lyriques: un exercice de respiration s’apparentant à un chassé croisé entre l’indicible et l’invisible. L’histoire se conçoit dans le silence de sa constitution. Les personnages de Victor Alimpiev disent: «Ecoute! Corrige ta respiration, corrige ta respiration… C’est vrai. Cela fait peur».
L’impression déceptive due à la déconstruction du récit fait vaciller la place du spectateur qui, face à une vérité lacunaire,tente de la reconstituer…

Aurélien Froment
— Werner Herzog (détail), 2002. Matériaux divers. 200 x 160 x 75 cm.

Guillaume Leblon
— Volume d’intérieur, 2004. Matériaux divers. 95 x 600 x 100 cm.

Marie Anderson
— Antichambre, 2003. Photographie.

Karlotta Blöndal
— Sans titre, 2007. Affiche imprimée.

Graham Gussin
— Night Errors, 2003-2007. Série de 13 photographies.

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