ART | CRITIQUE

Une Chine peut en cacher une autre

PRaphaël Brunel
@02 Fév 2009

Michel Nuridsany, le commissaire, ne nous a pas trompés avec son titre : une Chine peut vraiment en cacher une autre. L’exposition que l’on craignait trop mode, témoigne en fait d’une connaissance passionnée de la scène chinoise.

C’est avec une certaine appréhension que l’on se rend à la Galerie Anne de Villepoix pour voir la nouvelle exposition consacrée aux jeunes artistes chinois. Encore une, pour encore voir le même type d’œuvres, la caricature que le marché nous a appris à connaître et à «aimer». On se prépare, on se dit que cela va être gros, enfin monumental, coloré, mode et méchamment pop. Il sera sûrement aussi question de politique, d’art politique bien grossier et rentre dedans. Et puis, c’est toujours un peu bizarre de résonner en termes de zones géographiques lorsqu’il est question d’art. Bref, on s’y rend le cœur plein d’a priori et d’idées toutes faites.

En entrant dans la galerie, le ton est donné et les stéréotypes vite déboutés. Les dessins de Ke Yin sont fins, presque évanescents et relèvent d’un entrelacement de formes, d’une chiffonnade de drapés. On croit deviner des vêtements, des visages qui émergent de cet imbroglio et pourquoi pas ici et là des corps noués. Tout est jeux d’apparitions et de disparitions et c’est avec un réel plaisir que l’on cherche à démêler cet univers à la fois poétique et chaotique.
Michel Nuridsany, le commissaire, ne nous a pas trompés avec son titre : une Chine peut vraiment en cacher une autre. L’exposition que l’on craignait trop mode, témoigne en fait d’une connaissance passionnée de la scène chinoise.

Zhen Guoju et ses amis du groupe Yangjiang se réapproprie la pratique millénaire de la calligraphie mais sans révérence pour le passé et avec une attitude de sauvageon. Ils transforment cette pratique raffinée et exigeante en un jet violemment déposé sur le papier, souvent sur fond d’images d’actualité, comme s’il s’agissait d’un slogan écrit avec rage sur un mur. Leur tracé relève plus de la gifle que de l’écriture. C’est réellement dans cette énergie gestuelle que réside la portée politique de leur travail, loin d’une quelconque association d’images déjà standardisée.

La photographie est également à l’honneur avec le groupe Yan Shi qui joue sur les contrastes culturels et les attentes de la population. Il loue les services d’acteurs qui jouent les mariés. Derrière eux est dressée une toile représentant une nature idyllique. Les photos sont réalisées dans un contexte urbain en pleine transformation. Deux mondes semblent ici s’opposer. Malgré leur apparence lisse de photos de mode, il semble néanmoins se dégager de ces images une certaine poésie, un pouvoir d’enchantement.

Cette quête nostalgique d’une image du bonheur, loin des mutations contemporaines et d’une urbanité galopante, se retrouvent dans les travaux de la jeune Ye Funa. Sa série sur les minorités confronte les représentations anciennes des minorités locales et les tentatives actuelles de les réactiver par le port de l’habit traditionnel. Malgré la différence infime qui les sépare, l’écart semble irrémédiable.

Les photographies de Sui Sicong représentent des tables dressées que les convives ont abandonnées. Il les réalise en contre plongé, montrant la scène – mais ne s’agit-il pas de la Cène – d’en haut. Il en résulte une composition géométrique et colorée, emprunte d’une certaine mélancolie.

Des sculptures de nuages ou de paysages poilus de Sun Xue à l’utilisation par Feng Mengbo d’un GPS pour écrire le chinois, tous les médiums, qu’ils relèvent des arts classiques ou de la haute technologie, sont ici représentés. Si les pratiques et les démarches des artistes invités sont variées, elles semblent avoir en commun la volonté d’interroger la tradition artistique et culturelle chinoise, de dépasser les clivages pour proposer des univers singuliers, des fenêtres ouvertes sur le monde et l’avenir.

Dong Yonglong
— Hua Jia Di Nan Jie n°2, 2008. Photographie.102 x 188 cm encadré.

Sui Sicong
— The Last Situations #2, 2006. Impression numérique. 123 x 123 cm encadré

Zhou Yongyang & Zhou Mian
— Hardship can both make a country and a party stronger, 2008. Diodes lumineuses, panneau de plastique, métal et système électronique interactive sonore. 74 x 122 x 8 cm

Feng Mengbo
— The Invisible Words (a GPS calligraphy project), 2005-2006. Video, édition 2/5. 5 min

Qu Keyin
— Sans titre, 2008. Encre de Chine sur papier de riz chinois. 70 x 100 cm

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