ART | CRITIQUE

Translation

PIsabelle Soubaigné
@12 Jan 2008

Les graphistes M/M (Paris) mettent en scène une partie de la collection de Dakis Joannou. Les œuvres sont déplacées de multiples façon : du lieu privé du collectionneur au site public du Palais de Tokyo, des Arts plastiques aux Arts appliqués, d’une expérience visuelle et signifiante à une autre…

C’est en jouant sur le double sens du titre Translation que les graphistes Michaël Amzalag et Mathias Augustyniak — M/M (Paris) — mettent en scène une partie de la collection de Dakis Joannou au Palais de Tokyo.
Les œuvres sélectionnées, soumises à un déplacement, sont prisonnières d’un nouveau contexte. Tantôt mises en abîme pour mieux les révéler, elles semblent parfois devoir lutter pour s’imposer dans ce nouvel environnement. En présentant ces productions par l’intermédiaire de leur langage typographique, M/M (Paris) confrontent deux domaines : les Arts plastiques et les Arts appliqués. Ils nous invitent à les voir autrement et à s’interroger alors sur les dispositifs d’exposition utilisés. Plus qu’un simple lieu à traverser c’est une nouvelle expérience visuelle qui nous est proposée.

Le mouvement est présent de manière implicite, dès l’entrée. Elevator de Gabriel Orozco, ascenseur dépourvu de mécanisme d’élévation, est en attente. Portes ouvertes, lumière allumée, il est prêt à entamer le voyage au cœur de l’univers des deux «scéno-graphes» invités. Index, le mur d’affiches qui nous accueille près de la caravane, dresse un bilan rapide et non exhaustif de leurs productions graphiques durant les années 1999 à 2005.

Sommaire : nous tournons avec eux la première page et nous commençons la lecture de cette exposition particulière. Mais que doit-on réellement observer? Qu’est-ce qui fait le lien entre toutes ces œuvres ? Une nouvelle écriture se déploie dans l’espace et la traduction tridimensionnelle présentée ici nous offre un autre point de vue sans repères. L’absence de cartels et par là-même d’informations pourrait être dérangeante, mais le plan distribué à la place nous guide dans notre exploration. M/M (Paris) nous font pénétrer dans leur monde.

Le mur suivant, support de figurines de Maurizio Cattelan, n’est qu’un prétexte. Le titre, Spermini, apparaît de manière démesurée au-dessous de celles-ci. Chaque lettre du mot est imprimée sur une affiche sous forme de caractères anthropomorphiques. Ces portraits de femmes, initiales tronquées, rivalisent avec les visages en terre qui se dispersent en surface.

Une première interrogation s’impose : quelle est la place de la communication dans un tel endroit ? Quel est l’importance du titre ? Qu’adviendrait-il si ces indications qui se veulent discrètes d’habitude revendiquaient le droit d’apparaître avec le même impact que ce qu’elles désignent ? L’identité visuelle d’un lieu n’est jamais neutre. Elle est déterminante pour les objets qu’il nous présente.

Cette ambivalence, ce parcours hybride, entre en écho avec Inochi, le personnage étrange mi-homme, mi-robot de Takashi Murakami. Les vidéos diffusées plus loin le montrent habillé en écolier japonais. Il cherche à accéder et à expérimenter les sensations humaines qu’éprouvent les autres enfants qui l’entourent. Faut-il voir ici une allusion à ce qui pourrait être un des discours sous-jacents de l’exposition ? Le graphisme revendique sa place au même titre que les oeuvres des artistes reconnus. Trop longtemps considéré comme un simple moyen de diffuser des renseignements, il revêt aujourd’hui une part d’esthétique qu’on ne peut plus ignorer.

Mais M/M (Paris) ne cherche pas seulement à bouleverser nos repères. Certaines productions sont confinées dans de petits espaces aménagés pour les mettre en relief.
The Dragon has arrived de Cai Guo-Qiang, vaisseau en bois suspendu dans les airs semble suivre un itinéraire confus dessiné au sol. Les lignes de cette trajectoire abstraite de plus en plus denses ouvrent un imaginaire aux repères spatio-temporels différents. Un Cosmodrome noir et blanc, l’encercle et lui confère une autre réalité.

De manière plus agressive, F.O.B d’Ashley Bickerton, tronc replet, aux boursouflures grisâtres, dialogue avec la programmation des représentations du théâtre de Lorient. Toutes ces affiches contiennent une présence humaine, personnages en pied ou évocations synonymes. Le contraste n’en est que plus violent. Cette masse difforme empalée sur une tige métallique révèle l’artifice, le côté éphémère de ce que nous sommes. Tous ces «acteurs» nous regardent. Nous sommes à la place de la sculpture, pris à parti, épinglé d’une toute autre manière.

Dressind Down, mannequin sans tête ni bras, vêtu d’une robe aux couleurs vives de Yinka Shonibare, devient plus effrayant au contact des posters retravaillés qui l’entourent. Les visages, «balafrés», défigurés par un graphisme qui se superpose accentue l’idée de décapitation. Matérialisation de membres fantômes. Nous reconstituons mentalement le corps dans sa totalité mais l’horreur épidermique qui s’en dégage devient visuellement insupportable.

La visite continue et nous fait accéder sans cesse à un discours sans concession. Clin d’oeil, association par affinité ou par opposition: Afronirvana, de Chris Ofili, forêt rouge et verte constellée de paillettes s’oppose aux paysages urbains déployés tout autour.
La photographie de Vanessa Beecroft, UB 48, nouvelle référence aux clichés de mode et à leurs mises en scène froides et parfois inhabitées, est noyée au milieu d’une campagne publicitaire pour Calvin Klein. Nous pourrions écrire davantage mais les sensations présentes tout au long de la visite demandent à être vécues par tout un chacun.

Toutes les oeuvres sélectionnées trouvent ici un nouveau territoire dans lequel s’inscrire. Elles se dévoilent davantage. Dans cette nouvelle posture, plus vulnérables, elles se livrent sans retenue. Passées au crible des deux metteurs en scène occasionnels, elles tiennent un discours proche de leur identité première.

Mais cette opération de relecture peut nous amener à une autre réflexion. Ne peut-on pas leur faire dire ce que bon nous semble en les plaçant dans un autre contexte ? Peut-on rester fidèle lorsqu’on traduit le discours de quelqu’un d’autre ? C’est peut-être là que se fait la différence entre le travail plastique de Michaël Amzalag et Mathias Augustyniak et celui des nombreux artistes exposés. Une oeuvre d’art présentée sans aucune explication ne communique que le message qu’on veut bien lui faire émettre. Les productions des graphistes ont recours aux textes, aux signes et aux symboles et se sauvegardent ainsi plus facilement de toutes mauvaises interprétations.
Enfin, la place qu’ils occupent au Palais de Tokyo nous fait prendre conscience de l’importance de leur rôle et des limites évanescentes qui séparent désormais les Arts plastiques et les Arts appliqués.

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