ART | CRITIQUE

Supermarcher

PJuliette Delaporte
@12 Jan 2008

Le Supermarcher de Suzanne Déry s’attaque à l’identité visuelle de produits de consommation. Des collages sur toile intégrant des bouts d’emballages, des dessins naïfs au crayon, des gouaches pour mettre à plat le sens littéral des noms de certaines marchandises.

Suzanne Déry joue les candides en explorant le sens littéral des noms de certains produits. De petits tableaux blancs de gentils personnages roses en forme de bulles, tout droit sortis de dessins animés pour enfants, déclinent toutes sortes de jambons tels que le «jambon à la broche» qui est embroché. Sur un autre tableau, un jambon craint le couteau qui va le transformer en ces «lardons» qui sont représentés sur le tableau à côté. Les pièces sont ainsi liées entre elles par cette petite histoire de la vie survoltée de la charcuterie. L’expression des personnages varie en fonction du sort qui leur est réservé.

Les corps des personnages se composent toujours d’un fragment d’emballage réel de produit de consommation. Mais quel consommateur est visé par cette critique faussement simpliste du monde marchand ? L’affiche de l’exposition en papier-cigarette nous invite à suivre Supermarcher, un sandwich volant, digne des plus piètres anti-héros de comics. Peut-être en forme d’avertissement contre l’hyper consommation?

L’amateur d’art et l’artiste peuvent se muer en consommateur et producteur de tout et de n’importe quoi, du moment que les apparences y sont. Une gouache de Caprice des dieux, un fromage sacré surdimensionné, s’étale sur trois panneaux. Le petit médaillon portant la mention «Dieu que c’est bon» est soulevé par les petits anges dorés, emblèmes de la marque, tandis que la banderole rouge de l’emballage est terminée par une tête de serpent, symbole biblique de la tentation — Suzanne Déry inscrit ainsi le Caprice des Dieux dans la peinture religieuse.

Cette drôle de sacralisation désacralise l’art du packaging. Et peut-être plus quand le visiteur imagine un fromage sentant la gouache, quand les goûts des produits alimentaires se confrontent aux sensations de la peinture. Suzanne Déry défait les constructions publicitaires qui modèlent les désirs des consommateurs de supermarchés.

La série des dessins sur Paris propose une science-fiction cynique du produit de consommation. Paris est représentée dans une bulle à neige: ce n’est pas le Trocadéro et Notre-Dame qui entourent la Tour Eiffel mais les leaders du fast food dont les images rivalisent de célébrité avec les grands monuments de la capitale.
Ces petites histoires d’allures naïves réalisées à l’aide d’une technique rudimentaire testent les réflexes de celui qui se laisse emballer — y compris l’automatisme critique de l’amateur d’art… Au-delà des produits de consommation, ce sont les attitudes formatées de tous les consommateurs qui sont mis à l’épreuve.

Suzanne Déry
— Sans titre (Nyquil Dreams), 2006. Gouache sur papier.
— Sans titre (Cherry Blossom), 2006. Gouache sur papier.
— Sans titre (Fuerte), 2006. Collage et gouache sur papier.
— Sans titre (Young Artist), 2006. Collage et gouache sur papier.

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