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Sommes-nous?

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Avec la saveur de l’utopie, le collectif Tendance Floue n’a de cesse d’interroger le médium photographique, de jouer au funambule le long de ses marges, d’éviter l’évidence de l’image choc et spectaculaire.

Tendance Floue est un collectif de photographes qui fête aujourd’hui ses quinze ans d’existence. Ils sont douze et proposent autant de démarches et de points de vue. La caractéristique et la force de leurs manifestations collectives résident dans cette confrontation, cette juxtaposition et cette multiplicité des regards.

L’exposition Sommes-nous?, actuellement aux Voûtes, est symptomatique de cette réflexion de groupe, qui pousse la logique jusqu’à exclure de son accrochage et de ses légendes toutes traces d’individualité. L’anonymat est donc ici de rigueur au profit de l’esprit de collectivité et de l’effet d’ensemble.

Ainsi, pour aucune des photographies présentées, le visiteur ne trouvera le nom de l’auteur, ce qui a pour effet de rajouter une valeur ontologique à ces images, qui, dès lors que l’on accepte d’oublier la notion d’auteur, et au-delà de légendes, ne fonctionnent plus que pour elles-mêmes, en tant qu’objet à observer, à comprendre, à critiquer, aussi bien à l’échelle de l’unité que de l’ensemble.

L’idée de totalité est évidemment prépondérante dans cette exposition et l’accrochage des œuvres pousse le spectateur à réfléchir sur la manière dont les photographies interagissent entre elles pour créer une alchimie particulière. Le collectif, par la décontextualisation des images et par la recherche de la participation active de celui qui les regarde, propose une vision singulière d’un monde où tout est à mettre en corrélation ou en opposition, où le quotidien interroge l’Histoire et réciproquement.

L’objectif de Tendance Floue est de raconter le monde sans avoir recours à l’image choc dont le photojournalisme, la presse et la télévision sont si demandeurs. Non pas que les photographies du collectif ne produisent pas d’effet sur le visiteur, mais elles s’ancrent dans une autre recherche, plus utopique, plus marginale que l’image standardisée dont nous abreuvent les médias.

L’exposition nous propose autant d’univers que de contrastes : une plage normande portant encore les traces de la Seconde Guerre mondiale, un cimetière dédié aux Marins morts en Irak en contrebas d’une fête foraine sur la plage de Santa Monica, Ronald MacDonald enlaçant des femmes en burka, le regard d’un héroïnomane dans un bain public, un lieu de villégiature vidé de ses occupants saisonniers, une ville la nuit, un paysage africain dont le calme semble annoncer la terreur prochaine, une salle de tir, une volée d’oiseaux, un club échangiste, une baigneuse…

Avec humour, empathie, distanciation ou neutralité, les photographes de Tendance Floue produisent des œuvres parfois insaisissables, toujours touchantes, en renvoyant l’Histoire ou l’inhumain à l’échelle des histoires individuelles. Sans jamais chercher à apitoyer, ces clichés se situent dans un entre-deux, qui revient au spectateur d’appréhender, de dévoiler et de confronter à sa propre expérience.

Tendance Floue est donc le garant d’une conscience partagée où la photographie est un outil utopique, qui est, pour reprendre les mots de Jean Baudrillard à l’adresse du collectif, «le contraire du désir de signifier à tout prix, de témoigner ou d’informer» mais de «l’ordre de la sidération et de l’illusion, de l’ordre de la disparition aussi».

Mat Jacob
— Un village Zapatiste de la forêt Lacandone, Guadalupe Trinidad, Chiapas Mexique, n.d. Photo noir et blanc.

Bertrand Meunier
— Banlieue de Kaboul, Afganistan, septembre/octobre 2004. Photo couleur.

Flore Aël Surun
— Anita New York , objecteur de conscience, série «USA for Peace», n.d. Photo couleur.
— Envolée dans le ciel de la mer des calanques, Marseille France, n.d. Photo couleur.

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