ART | CRITIQUE

Simon Hantaï

PFrançois Salmeron
@04 Juin 2013

D’abord surréaliste, puis influencée par l’art abstrait de Jackson Pollock, la peinture de Simon Hantaï prend véritablement son envol lorsque l’artiste thématise puis décline son fameux «pli comme méthode» à partir de 1960. Dès lors, il crée de grandes toiles aux compositions étonnantes, et aux couleurs tout aussi éclatantes.

Cette rétrospective consacrée à l’œuvre de Simon Hantaï revient sur le parcours de l’artiste d’origine hongroise, qui connaît de nombreuses évolutions et ruptures. Reconnu de son vivant pour ses techniques de pliage qui singularisent ses productions, Simon Hantaï voit le Musée d’art moderne de Paris lui consacrer une première grande rétrospective en 1976. Il se trouve par la suite invité à la Biennale de Venise en 1982, année où il décide toutefois de se retirer de la scène artistique et ce, jusqu’à sa disparition.

L’œuvre de Simon Hantaï connaît ainsi plusieurs développements. L’exposition se propose en ce sens de reprendre le fil des différentes étapes qu’elle aura connues, en débutant par le Surréalisme. En effet, sitôt installé à Paris en 1948, Simon Hantaï se rallie au mouvement d’André Breton.
Le surréalisme est un terrain d’expérimentations pour Simon Hantaï, qui s’essaie par exemple au collage, au grattage, ou au découpage. Il représente notamment des corps hybrides, monstrueux, difformes et disséqués, ou érotisés, reprenant ainsi l’intérêt qu’éprouvent les surréalistes pour l’étrange ou la sexualité. L’une des particularités des toiles de Simon Hantaï consiste à intégrer sur la surface des ossements, des arêtes de poisson (Elle seule doit y toucher), ou carrément des crânes d’animaux, notamment dans Femelle Miroir II.

Alors que le mouvement surréaliste se trouve à bout de souffle, Simon Hantaï se tourne vers le modernisme, où la figure de Jackson Pollock connaît un rayonnement international avec ses grandes peintures abstraites. En cela, il s’inspire de l’artiste américain, tentant de reprendre sa gestuelle dans des toiles aux dimensions immenses. Sexe-Prime, Hommage à Jean-Pierre Brisset est l’œuvre la plus représentative de cette période (1956-1957), où les gestes du peintre sont amples, rapides, virulents. Les tracés se posent comme des coups de griffe, s’emmêlent, forment même une sorte d’écriture, et s’accompagnent de jets de couleurs. A cette fureur répond toutefois des œuvres bien plus sobres, comme Souvenir de l’avenir, où Simon Hantaï appose une simple croix blanche sur un fond noir.

Mais derrière ces toiles parsemées de grands gestes, on devine peu à peu des «petites touches», technique que l’artiste va désormais explorer (1958-1959). Face au geste débridé, Simon Hantaï opte pour de petites marques qu’il exécute avec un cercle de métal qu’il aura détaché d’un simple réveil, et qui lui permet de gratter les couches de couleurs apposées sur la toile. Cette technique atypique permet ainsi à Simon Hantaï de se dégager du «vieux» courant surréaliste ou du conformisme de l’avant-garde artistique, pour explorer son propre champ et suivre ses propres aspirations.

Ecriture rose et A Galla Placidia retiennent particulièrement notre attention. Il s’agit de deux œuvres que l’artiste travaille en parallèle, se consacrant à l’une tous les matins, et à l’autre tous les après-midi, explorant à la fois les «petites touches» et les ressources graphiques de l’écriture.
En effet, Ecriture rose se compose d’écritures microscopiques traversant l’ensemble de la toile, s’enchevêtrant et se superposant de leurs fins traits noirs exécutés à l’encre. Simon Hantaï y recopie notamment des passages de la Bible, témoignant en cela de ses préoccupations spirituelles, et donnant au texte une véritable dimension physique. Il révèle surtout l’incroyable pictorialité que renferme l’écriture, accompagnant ces innombrables phrases de quelques signes religieux forts, comme l’étoile de David ou la croix chrétienne.
On retrouve d’ailleurs ce même symbole dans A Galla Placidia, où une croix translucide irradie autour d’elle une lumière diffuse. Le fond de la toile, quant à lui, est marqué de petites touches, comme un motif répété.

Le très fameux pliage comme «méthode» apparaît dans les quatre séries des Mariales (1960-1962), offrant une nouvelle rupture dans le parcours du peintre, certainement la plus décisive d’ailleurs. On pourrait toutefois préciser que le terme de «froissage» serait certainement plus approprié ici. En réalité, Simon Hantaï froisse de bord en bord la toile de manière aléatoire, avant de peindre les parties qui demeurent accessibles à son pinceau.
En ce sens, il peint en «aveugle», sans avoir véritablement conscience du rendu qu’aura la toile au final. Ensuite, il déplie la toile, qu’il ne lisse cependant pas complètement. Des creux et des reliefs apparaissent alors, l’œuvre se donne à voir tel un mur de crépis. Et tandis que les œuvres des premières séries nous feraient davantage penser à une multitude de morceaux de mosaïque brisée, ou à des vitraux disloqués regorgeant de lumière, les séries m.c. et m.d. proposent davantage d’ouverture et de souffle dans leur composition.

A travers la série des Catamurons, Simon Hantaï modifie sa technique de pliage, et crée désormais des masses plus opaques, centrées sur la toile, dont les bords demeurent vides. Le pliage se concentre donc au milieu de la toile, alors que la série des Panses offre des pliages plus malléables. La toile se trouve ici nouée aux quatre angles et ressemble à un sac, donnant finalement lieu à de grosses formes ovoïdes aux tons gris-bleus.

L’œuvre de Simon Hantaï partait d’une saturation de formes, de grands gestes sauvages, d’écritures, de petites touches, puis d’une multitude de mosaïques résultant des techniques de pliage expérimentées. Mais elle s’ouvre peu à peu, s’épure et respire d’autant plus, notamment avec les Meuns (1967-1968), où le geste de l’artiste devient plus ample, voluptueux, et bien moins nerveux.
Les toiles de Simon Hantaï élaborent ainsi une dynamique entre le peint et le non-peint, entre la couleur étalée et le blanc de la toile. Aussi, Simon Hantaï s’affirme définitivement comme un grand maître coloriste, proposant de magnifiques gammes de couleurs.

Le pliage comme méthode se trouve alors érigé en un véritable principe de travail que Simon Hantaï décline sous différentes formes. Avec les Etudes, il pose une stricte équivalence entre le peint et le non-peint, n’appliquant qu’une seule couleur sur la toile pliée au sol. On a affaire ici à de purs voiles de couleurs étincelants. Les Blancs, quant à eux, sont toujours plus aérés, avec des éclats multicolores.
A travers ces deux séries, Simon Hantaï concède avoir voulu réaliser une peinture «sans qualité», où la main de l’artiste est rendue «sourde» ou absente, puisqu’ici, c’est la méthode qui est prépondérante, et non la volonté, l’inspiration ou le geste de l’artiste qui se projetteraient sur la toile.

Alors qu’il travaillait depuis la fin des années cinquante sur des cycles durant tout au plus deux ans, la série des Tabulas s’étend sur une dizaine d’années (1973-1982), poursuivant les recherches sur le pliage. Simon Hantaï noue la toile à intervalles réguliers, produisant un quadrillage. Au cours de cette série, la taille des carreaux s’agrandit peu à peu, et la quantité de blanc les séparant évolue. En ce sens, la structure interne des carrés change, laissant apparaître des blancs en leur sein même. Les Tabulas se déclinent ainsi suivant différents rythmes, pulsant à des tempos plus ou moins concentrés ou dilatés. Le pliage s’affirme alors comme un procédé rendant possible à la fois la respiration et le rythme, alternant pleins et vides.

A l’arrivée, Simon Hantaï souhaite, à travers le développement du procédé du pliage, reconsidérer la peinture comme un «fait élémentaire»: il s’agit de simplement étaler une couleur sur une surface, à l’aveugle, avec cette dramaturgie propre au procédé. L’on ne sait ce qu’il en résultera jusqu’au moment fatidique où l’artiste se glisse alors sous la toile posée au sol, la soulève et l’étire, afin de faire sauter les différents nœuds qui la travaillent et de révéler son éclat final.

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