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Silly you, silly me

Farhad Moshiri est une des belles surprises de cette fin d’année. N’hésitant pas à incruster dans ses toiles paillettes et fins cristaux, il accouche d’œuvres gigantesques et minutieuses. Entre grandeur et méticulosité, ses tableaux provoquent une émotion immédiate. Ils interpellent le regard et invitent à se rapprocher. Les grands formats en imposent, ils tiennent la route à distance. Si on se rapproche, si on colle son nez sur le châssis un autre monde s’ouvre à nous. La patience d’une Pénélope est nécessaire à l’assemblage de tous les minuscules éléments qui composent les visions cartoonesques de l’artiste iranien.

L’attraction est forte. Les éclats provoquent l’admiration et l’incrédulité à la fois. Pourtant ce genre d’exercice n’est pas nouveau. Depuis vingt ans déjà, de nombreux artistes usent de cet artifice pour mélanger les arts appliqués et l’art contemporain. Des firmes de luxe, comme la Fondation Cartier, encouragent, directement ou indirectement, ce genre de proposition. L’accumulation de toutes ces pépites est un exercice périlleux. Il flirte souvent avec le bon goût et les bonnes manières. Le décalage est autorisé, le second degré recommandé, mais le kitsch est l’écueil qu’il faut éviter pour ne pas sombrer sous le poids des critiques. L’autre solution consiste à revendiquer haut et fort, ce goût pour la pacotille.

Élevé par les enluminures persanes d’une part, et diplômé d’une école d’art californienne d’autre part, Farhad Moshiri semble à l’aise pour poser un regard décomplexé sur le monde actuel.
Le pays des mollahs cultive le paradoxe d’une théocratie révolutionnaire. Minoritaire dans le monde arabe, cette civilisation millénaire, corsetée à l’intérieur de ses frontières, permet à des artistes de grande envergure de porter haut les couleurs et les racines du pays.
Pour le cinéma on pense au fabuleux Abbas Kiarostami, aussi à l’aise derrière une caméra que d’un appareil photo. Dans le domaine des arts plastiques, Shirin Neshat trace depuis plusieurs années le sillon d’une exigence grâce à son travail vidéo. Tous les deux, grâce à leur acuité, bouleversent les modes de représentation et de narration dans un pays qui se méfie de l’image.

Sans parler de filiation, Farhad Moshiri poursuit un travail décomplexé sur la représentation. Il ne propose pas une vision d’esthète, mais réfléchit sur le monde médiatique. Avec sa double culture, il parvient à marier la culture populaire occidentale avec le clinquant de l’orient. Si le travail se fait sentir, le propos qui transparaît s’affranchit d’une totale liberté. Pince sans rire et facétieux, Farhad Moshiri s’amuse avec nous des figures connues et banales qu’engendre l’enfance.

Sa malice s’immisce dans une très belle œuvre murale Life Is Beautiful. Après le wall painting place wall knifing. Cette pièce est aussi réussie que la scène de la douche de Psychose. Écrit sur tout un pan de mur, le lettrage adopte une typographie à la Fame.
Très funky, les trois mots se détachent et forment une arabesque joyeuse. Plus difficilement identifiable que les perles des tableaux, le motif répété et enfoncé dans le parpaing n’est autre qu’un ustensile de cuisine banal: un couteau! Avec son manche en plastique fluo et cheap, son nez aiguisé pour trancher la bavette, ce matériau aussi incisif que doux, est l’une des plus belles réussites de l’exposition.
Entre douceur et violence, maniant l’oxymore et la science des opposées, elle pourrait résumer la démarche de l’artiste. En employant une forme qui contredit le message affiché, Farhad Moshiri évite les pièges de ses œuvres trop léchées. Son ironie douce amer, sa retenue et son intelligence jettent sur le reste de ses travaux un deuxième regard plus complexe. Un artiste à suivre.