ART | EXPO

Sans fleurs ni couronnes

14 Mar - 11 Avr 2015
Vernissage le 14 Mar 2015

L’odalisque, objet de peinture masculine, est reprise et transfigurée par Katia Bourdarel. L’objet féminin devient sujet, s’émancipe du regard, s’approprie son être et son apparence. Le regard s’engouffre dans la chair, est absorbé, subit l’effet d’une puissance agissante, qui n’est autre que le corps lui-même dans la gloire de son magnétisme bien matériel.

Katia Bourdarel
Sans fleurs ni couronnes

Le creux de la toile, immaculé, néant de blanc, est la réserve des couleurs, ces couleurs qui sont des obscurcissements et des éclaircissements corrélatifs du blanc et du noir qui sont comme deux limites toujours transgressées par Katia Bourdarel, ces limites repoussées au cœur même du tableau.

On voit la gamme infinie des couleurs comme creusement de la plénitude originaire, actualisation d’un morceau d’infini à l’intérieur de contours qui s’éloignent de la lumière, s’intensifient, s’opacifient, se matérialisent. Alors on suit la métamorphose du modèle. Il devient cru, sa surface s’approfondit et devient acidulée comme la chair des pommes sures. Renflée et salée comme de la chair vivante. Corps à 37°. De la nuque aux reins, l’affirmation d’une infinie souveraineté. Souveraineté des courbes, des renfoncements et autres enveloppes de chair.

L’odalisque, objet de peinture masculine, est reprise et transfigurée par Katia Bourdarel. L’objet féminin devient sujet, s’émancipe du regard, s’approprie son être et son apparence. Il y a comme un défi dans l’air, un défi pour le voyeur. La peinture se dissocie, se scinde entre effets d’objectivation et effets d’assujettissement.

L’objet de la peinture est d’abord soumis au regard; celui-ci — c’est sa nature — ramène l’objet à lui, le rapetissant, il le rabote pour pouvoir l’envelopper, le contenir. Mais l’objet résiste, et l’artiste capte cette résistance. Dans toutes les toiles, il y a de la résistance, dès ce lit primordial et immaculé duquel le corps se tire et auquel il s’oppose, tête enfouie, regard dérobé — non, il ne se donnera pas, fuyant bien que là.

Dans ce contexte natal, le corps presque épanoui n’est pas lisse, mais il glisse. Drapé comme une rivière, à la fois paysage et liquide. Assigné et fugitif. L’objet veut le regard, mais ne le rend pas, il l’emmagasine jusqu’à pouvoir donner le sien une fois libéré, advenu à une certaine autonomie. Promesse de conte trouble et cruel. Trouble parce que l’objet contemplé provoque du trouble chez celui qui le contemple. Et cruel parce qu’il est clair que cet objet n’appartient et n’appartiendra à personne, bien que pouvant susciter la convoitise.

Regard direct et franc de l’objet devenu fille, sans fleurs ni couronnes, conscient de son geste souverain, officié par une main pailletée d’or. L’objet en processus d’individualisation a quelque chose à exprimer qui dépasse ce qu’en perçoit le regard; et le regard, pour le saisir, doit devenir à son tour patient, et l’objet devenir agent, c’est-à-dire un sujet autonome, là devant, séparé, autre.

Alors on s’approche, on regarde de près, close up, absence de ligne de fuite, pas d’échappatoire, le regard s’engouffre dans la chair, est absorbé, subit l’effet d’une puissance agissante, qui n’est autre que le corps lui-même dans la gloire de son magnétisme bien matériel, incarné par la peinture qui rend présente la chose même, cette dynamique du corps, qui utilise tout le spectre de la lumière, du blanc au noir, des qualités de réflexion totale d’une surface irrémédiablement blanche à celles d’absorption du trou noir. Histoire de passage, affaire de seuil. Mais le chemin tracé n’est pas de sublimation, le but, c’est l’enfouissement dans l’épaisseur profuse des cheveux, un bain dans la matière puissamment mise en forme dans le corps féminin qui déploie sa puissance de rayonnement, fait de surfaces réfléchissantes et opaques, impénétrables, à contempler.

critique

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