DESIGN | CRITIQUE

Propositions Design

PGérard Selbach
@12 Jan 2008

Entre art et mobilier, les œuvres de Million créent de légers décalages avec notre expérience des objets familiers, contribuant à changer nos relations avec eux, à stimuler notre créativité, et à envisager différemment notre manière de vivre au quotidien.

Le jeune créateur en quête d’éditeur, Philippe Million, peut assurément revendiquer l’appellation de designer en signant plusieurs meubles aux lignes simples et épurées, mais qui remettent en question notre rapport aux objets du quotidien. En effet, si la Galerie Alain Gutharc s’est transformée en exposition de meubles, c’est pour mieux remettre en cause notre familiarité avec eux et explorer l’expérience d’habiter. Le design, sensé depuis le Bauhaus offrir une cohérence entre forme et fonction et même imposer que la forme suive la fonction, a été revu et corrigé par Philippe Million. Son mode d’intervention affecte tous les éléments du mobilier qui se trouvent modifiés par cette rencontre … et les usagers avec eux.

Le créateur signe, par exemple, une table au-dessus transparent qui trouble notre perception en dévoilant l’intérieur et en rendant visible sa structure. Il altère notre rapport à la table par la soustraction de l’élément essentiel : le dessus de table. Une carafe et un verre, posés sur le panneau de verre acrylique, semblent suspendus en l’air. Nous nous trouvons face à une perte de sens pour entrer dans le monde de l’art. Pourtant, comment oublier son usage ? Est-ce un nouvel art de la table ?

Avec son choix d’une porte qui donne accès à un placard au lieu d’ouvrir sur une pièce, il perturbe notre reconnaissance des signes : l’usager ne retrouve plus la fonction attendue. La porte change, là encore, de sens et de fonction sans pour autant changer de forme.

Quant au banc de jardin en acier galvanisé, il semble avoir été réalisé à partir d’une barrière de protection utilisée à l’occasion des manifestations dans les rues de Paris. Mais les barreaux se tordent, se plient en un éventail et se transforment graduellement en un siège par une appropriation conviviale. Un clivage se fait donc jour entre son apparence visuelle et son ergonomie. Une décatégorisation s’opère également puisque ce banc-barrière trouble notre perception et remet en cause notre connaissance par une perte de reconnaissance : la torsion des barres, et le changement de forme induit, aura entraîné un changement de fonction.

En optant ainsi pour un mobilier en léger décalage avec notre expérience, Philippe Million contribue à changer nos relations aux objets courants et à stimuler notre créativité. Il nous force à voir différemment et modifie, en fin de compte, notre manière de vivre.

Philippe Million :
— Meuble à tiroir vert, 2003. Contreplaqué. 80 x 50 x 35 cm.
— Meuble à tiroir chocolat, 2003. Contreplaqué. 80 x 50 x 35 cm.
— Meuble à tiroir bleu, 2003. Contreplaqué. 80 x 50 x 35 cm.
— Meuble chocolat à tiroir crème, 2003. Contreplaqué. 80 x 50 x 35 cm.
— Étagère, 2002. Acier laquée argent. 40 x 60 x 15,50 cm.
— Étagère, 2002. Acier laquée prune. 40 x 60 x 15,50 cm.
— Étagère, 2002. Acier laquée verte. 40 x 60 x 15,50 cm.
— Étagère, 1999. PVC expansé rouge. 40 x 90 x 26 cm.
— Tabouret orange, 2002. Tube acier, peinture époxy, contreplaqué stratifié. 45 x 38 x 36 cm.
— Table, 2003. Chêne, verre acrylique, PVC. 75 x 120 x h90 cm.
— Carafe, 2003. Verre. 38 x 9 cm.
— Banc de jardin, 2002. Acier galvanisé. 95 x 184 x 60 cm.
— Lampadaire, 2000. Tube d’acier, peinture époxy. 150 x 50 x 50 cm.
— Placard, 1998-2003. Contreplaqué, sapin, acier anodisé. 210 x 81 x 47 cm.

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