ART | CRITIQUE

Où se trouvent les clés ?

PRaphaël Brunel
@29 Juil 2008

Protéiforme, l’œuvre de Douglas Gordon se résume difficilement tant elle cherche à échapper avec ironie à toutes qualifications. Elle est autant empreinte d’éléments issus de la pop culture que de références autobiographiques et d’allusions à la mort.

Comme tous les étés en Avignon, se déroule le célèbre festival regroupant les professionnels du théâtre et du spectacle vivant. Mais cette année, cerise sur le gâteau, la ville accueille une impressionnante exposition de l’artiste écossais Douglas Gordon. L’initiative revient à la collection Lambert qui se voit, pour l’occasion, métamorphosée, tantôt plongée dans l’obscurité, tantôt matinée de tons carmin, crépusculaire ou amniotique.
Plus labyrinthique que jamais, le lieu accueille une exposition forte, nostalgique et ténébreuse, qui prend des airs de rétrospective. L’occasion de (re)découvrir une œuvre rarement montrée en France avec une telle qualité de présentation et en de telles proportions.
Douglas Gordon s’invite également dans la chapelle du Palais des Papes avec une installation vidéo, véritable Arche de Noé composée d’ânes, serpents, scorpions, chat noir…

Protéiforme, l’œuvre de Douglas Gordon se résume difficilement tant elle cherche à échapper avec ironie à toutes qualifications. Deux attitudes, en apparence paradoxales, cohabitent cependant dans son travail et lui insufflent sa cohérence. D’une part, son utilisation récurrente d’éléments existants issus de la pop culture. De l’autre, l’omniprésence de références autobiographiques.

Il se fait connaître en 1993 avec 24 Hours Psycho, une projection sur grand écran recto-verso du film Psychose d’Alfred Hitchcock ralentie de façon à durer 24 heures. L’utilisation du ralenti se retrouve dans d’autres œuvres comme Confessions of a Justified Sinner, qui dissèque la transformation cinématographique du Docteur Jekyll en Mister Hide. Le truc révèle ainsi le trucage du cinéma.
Il détourne les chefs-d’œuvre du septième art et se les réapproprie comme autant de ready-mades culturels. Proche des pratiques des Dj et du sampling, il prend ainsi de la distance par rapport à la notion d’auteur, de geste artistique et annonce, par le réagencement des influences, le crépuscule du vedettariat. Il manœuvre entre icônes du cinéma, dont il mutile les représentations, et stars du foot, en réalisant un film sur Zidane en collaboration avec Philippe Parreno.

Douglas Gordon questionne la culture populaire et l’image médiatique en perturbant les repères du visiteur, en en modifiant la nature ou la temporalité. L’intérêt de l’artiste pour ce type d’images semble évoquer la sentence introductive de la Société du spectacle de Debord : «Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation». Mais plutôt que d’y voir la fin de l’art, Douglas Gordon semble trouver dans les expériences différées que génère la culture de masse un acte producteur de narration et d’expérience.

L’expérience individuelle se télescope ainsi avec l’expérience collective, la culture de masse révélant autant sur les pratiques de groupe qu’elle implique les aspirations personnelles. C’est sûrement dans ce sens qu’il faut interpréter l’omniprésence des références autobiographiques chez Douglas Gordon, à la lumière d’œuvre comme Something Between my Mouth and your Ear, qui plonge le spectateur dans la période de gestation qui a vu naître l’artiste en diffusant les tubes de l’année 1966, des Beatles aux Kinks. Il renvoie de la sorte à sa propre histoire mais également à celle de tous le natifs de 1966 et à tous ceux pour qui ces chansons renvoient à une époque et une histoire générale.

Le corps de Douglas Gordon est lui aussi mis à contribution souvent avec violence comme dans Monster Reborn, où l’artiste se défigure avec du scotch. Three Inches est une référence à une loi qui interdit le port d’une arme blanche de plus de trois pouces. Il mesure ainsi lequel de ses doigts pourrait le tuer en touchant un organe vital.
L’exposition à la collection Lambert est d’ailleurs pensée comme un corps, chaque salle comme un organe. Ainsi, une mansarde ouvre sur le cerveau de Douglas Gordon : un frog oppressant parsemé de dizaines de moniteurs diffusant l’ensemble de ses vidéos, véritable mini rétrospective. Les mots disséminés dans l’espace d’exposition et sur la façade de la collection fonctionnent comme les tatouages et les scarifications qui recouvrent le corps de Douglas Gordon.

Fil conducteur de son œuvre, la mort et son croche-pied rigolard se diffusent dans toute l’exposition. Avec humour, il présente les crânes qu’il s’offre à chaque anniversaire et qu’il perce d’étoiles en référence au portrait de Duchamp réalisé par Man Ray. Les Vanités s’enchaînent comme cette impressionnante succession de crânes pop se consumant progressivement et découvrant un morceau toujours plus important de miroir. Douglas Gordon pousse ainsi le spectateur à se confronter à un hors-champ, un hors-soi.

Reste le titre de l’exposition qui se présente à nous comme une énigme : «Où sont les clefs?» Si chacun appréhende les œuvres avec sa propre expérience, il apparaît bien difficile, malgré tous les indices qu’il nous laisse, de pouvoir découvrir ce que nous cache Douglas Gordon. Il semble plutôt nous inviter à ne pas les chercher, à se perdre dans son univers, à naviguer d’une sensation à une autre, d’une référence connue à un choc visuel.

Douglas Gordon
— 24 hours psycho, 1993. Installation vidéo.
— Blind Paul (White), 2002. Photographie découpée.
— Blind Faye (White), 2002. Photographie découpée.
— Don’t think About It, 2000. Vidéo, DVD. 60 min.
— Selected Texts, 1989. Fortlaufend, Folienschrift, vue de l’installation au Royal Botanic Garden Edinburgh, Inverleith House.
— Play Dead : Real Time, 2003. Installation Video. Vue de l’installation aux National Galleries of Scotland, Royal Scottish Academy building, Edinburgh.
— Between Darkness and light (After William Blake), 1997. Installation vidéo.
— Photographie du tournage de Douglas Gordon au Palais des Papes, Avignon, 2008.

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