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Not for Sale

Ensemble de textes écrits depuis vingt ans par l’artiste et théoricien italien : extraits de son journal, entretiens, articles, interventions pour des séminaires, etc. Une pensée articulée autour de l’expérience collective et sociale de l’art, de la nécessité de l’action politique, de l’importance des nouveaux médias et du développement de l’art interactif.

— Éditeur : Les Presses du réel, Dijon
— Collection : Relectures
— Année : 2003
— Format : 21 x 15 cm
— Illustrations : aucune
— Pages : 217
— Langue : français
— ISBN : 2-84006-079-2
— Prix : 12 €

Préface
par Éric Troncy

Les textes miraculeusement rassemblés dans le présent ouvrage sont un élément essentiel, sinon indispensable, à la compréhension du travail de Piero Gilardi et, plus largement, à son rapport perpétuellement discursif avec les cultures de son temps. Tandis que l’histoire de l’art redécouvre aujourd’hui avec stupéfaction le travail incroyablement ample de cet italien né en août 1942 à Turin — où il réside toujours — ses écrits, qui ponctuent et parsèment une vie en forme de périple, éclairent fort utilement les choix qu’il opéra constamment dans un parcours où la décision de fuir le confort et les certitudes lui fit office de gouvernail.

Gilardi a, en quelque sorte, été le greffier de sa propre histoire; l’écriture reste dans le développement de son engagement la seule forme fiable qu’il n’ait jamais remise en question. Car toutes les autres se sont trouvées, à un instant ou à un autre, dévaluées par une quête exigeante de sincérité et d’adéquation de la forme à retenir pour mettre en œuvre une pensée. Tandis que depuis l’année 1964, ses « Tapis nature » (dont la redécouverte aujourd’hui le range indiscutablement parmi les plus grands inventeurs formels) connaissaient un certain succès, il s’éloigne poliment en 1967 du règne de l’objet dont il a eu très tôt le pressentiment de la domination inconsidérée qu’il exercerait sur l’avenir de l’art comme sur celui des relations humaines. C’est précisément ces relations qu’il choisira d’explorer, abandonnant toute production d’objet au profit de la transformation de sa propre personne en une sorte d’interface avant la lettre, entre les artistes européens et américains ouvrant de nouvelles brèches dans les certitudes du jeu artistique. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’Histoire lui rend justice du rôle déterminant qu’il joua dans la construction d’un nouveau regard sur l’art de la fin des années soixante, et dont il laissa d’autres s’emparer sans opposer de résistance. Le concept d’art « micro-émotif », qu’il forge alors, indexé principalement sur la participation du public et la gestion des relations, peut aujourd’hui être mis en perspective avec ces « esthétiques relationnelles » qui caractérisent les pratiques actuelles.

Peu d’artistes autant que Piero Gilardi ont été mu par la conviction absolue que l’art pouvait changer la vie, que l’art devait changer la vie. Son horizon a toujours été à la fois esthétique et existentiel, avec une priorité sur ce dernier terme. La traduction immédiate de cette conviction aura été une rupture prolongée avec le « monde de l’art » traditionnel, pour travailler avec des groupes dans des hôpitaux psychiatriques ou dans des tribus indiennes : en témoigne ici la publication des animations conduites à l’école indienne de la réserve Mohawk de Akwesasne (1983) ou au Faubourg S. Judas de Managua (1982).

Son retour à Turin lui révélera le portrait d’une ville en pleine « désindustrialisation », où les usines Fiat avaient, en 1982, licencié plus de 20 000 personnes, éjectées par la mécanisation des chaînes de montage. Cette semi-robotisation sera vécue par Gilardi comme une « véritable amputation du corps social et humain ». Comme d’ailleurs les artistes du collectif avec lequel il travaille, il ne se pardonnera jamais de ne pas avoir plus tôt « mis les pieds dans les nouvelles technologies », accablé par les modifications irréversibles qu’elles avaient déjà entraînées dans les domaines de la production comme de la gestion sociale. Dès lors, l’ordinateur deviendra à la fois son compagnon et son adversaire, un interlocuteur dont il tentera d’apprivoiser le langage virtuel pour lui apprendre à restituer des émotions. Ixiana, méga-sculpture de trente mètres de long, se présente comme le corps symbolisé d’une petite fille, jardin où se promène le visiteur à la recherche de ses cinq sens perturbés par l’informatique. Le texte relatif à ce projet, ici republié, marque cette étape après laquelle le travail de Gilardi complètera l’opposition Naturel/Artificiel qui habitait ses « Tapis Nature » par l’opposition Virtuel/Réel, qui n’en est jamais que l’adaptation contemporaine.

La volonté d’assujettir la technologie au profit d’une connaissance profonde des mécanismes humains (les sens, les relations interhumaines, la subjectivité) reste aujourd’hui son objectif prioritaire: le rassemblement de ses écrits dans le présent ouvrage en dévoile en partie les origines. Redistribuer les prérogatives de la technologie, aux dépens de la guerre et au bénéfice de la vie : voici schématiquement le programme qui fonde l’action de Piero Gilardi, et la simplicité de ce projet comme à la fois son énormité n’est pas étrangère à l’admiration infinie que ne peut que susciter aujourd’hui une vie en forme d’œuvre, que l’écriture enregistre — et transforme en fichiers informatiques, sur l’écran d’un ordinateur.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Les Presses du réel)

L’auteur
Piero Gilardi, né en 1942 à Turin, Italie, contribua à la naissance de l’Arte Povera. Il a été un des premiers artistes à utiliser, pour ses possibilités d’interactivité et de virtualité, les nouvelles technologies des médias.