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Mouvement n°21

Année de l’Algérie oblige, Mouvement consacre son dossier sur la pratique artistique de ce pays. Pour les arts visuels, à retenir : l’espagnole Lara Almarcegui et sa réflexion sur les espaces urbains, le portfolio sur le travail percutant du péruvien Jota Castro et la photographe japonaise Asako Narahashi.

— Rédacteur en chef : Jean-Marc Adolphe
— Éditeur : Mouvement, Paris
— Parution : mars-avril 2003
— Format : 30 x 22,50 cm (inclus le supplément musiques Octopus)
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 96
— Langue: français
— Prix : 6 €

Édito : grains de sable
par Jean-Marc Adolphe

Comment contrer la culture de la guerre ? À l’heure où ces lignes s’écrivent, l’incertitude pèse comme une épée de Damoclès. Un remake de la guerre du Golfe semblait voici peu inévitable. Le déploiement des forces américaines à la périphérie de l’Irak ne devrait guère laisser de place au doute. George W. Bush ne joue-t-il pas sa réélection, en 2004, sur la taille de ses biceps, à défaut d’avoir réussi à brandir le scalp d’Oussama Ben Laden, et pas davantage à avoir enrayé la récession économique ? Oui mais… Faute d’avoir emporté l’adhésion du Conseil de sécurité des Nations Unies, et étant confrontés à de gigantesques manifestations dans le monde entier, les États-Unis découvrent que la puissance propagandiste dont sont capables les industries du divertissement n’a pas totalement anesthésié les « opinions publiques ». Dans la frénésie libérale qui vise à privatiser le moindre service commun, le grain de sable de « l’opinion » demeure-t-il le dernier bien « public » ?

Que les bombardements commencent ou non à pleuvoir sur l’Irak, la guerre continuera de toute façon à se déployer car elle est le moyen exclusif dont dispose la puissance (économique, militaire, culturelle) pour maintenir sa domination sur le reste du monde; « domination qui substitue le contresens au sens et y trouve une innocence cynique », ainsi que nous l’écrit Bernard Noël.
Il appartient aux inspecteurs des Nations Unies d’établir si le régime dictatorial de Saddam Hussein (qui s’est imposé sur des exécutions d’opposants progressistes, contre lesquelles, à l’époque, les « puissances occidentales » n’ont rien trouvé à redire) a reconstitué des « armes de destruction massive ». Il nous appartient, à nous, de lutter contre d’autres armes de destruction massive des esprits, telles que les émissions dites de « télé-réalité » en offrent, par les temps qui courent, le plus affligeant exemple. Aux États-Unis, cette déferlante a commencé voici trois ans, avec une émission baptisée « Survivor ». Titre cynique pour un programme qui annonçait bien des naufrages à venir.
Ici même, cette publicité aperçue dans le métro parisien, faisant réclame pour « Disney Channel » : « Adoptez la nouvelle baby-sitter. » Et ce chiffre, avancé par le Syndicat national de la publicité télévisée : en 2002, les 4-14 ans ont passé en moyenne 2 h 18 par jour devant la télévision. Dans vingt ans, que restera-t-il de « l’opinion publique » ? Nous n’avons rien de mieux à offrir, pour l’heure, que la culture du grain de sable…

(Texte publié avec l’aimable autorisation de Mouvement)

L’auteur
Jean-Marc Adolphe est rédacteur en chef de la revue Mouvement.