LIVRES

Milos Sobaï;c

Aplats de couleur, coulures, taches, vivacité du geste et du trait pour une peinture figurative tendant à l’abstraction. Milos Sobaï;c thématise la violence, le sang et les corps éclatés en un jeu de massacre inquiétant et troublant. Peter Handke et Dimitri Analis accompagnent ce choc des images par le poids de leurs mots.

— Éditeur(s) : La Différence, Paris
— Année : 2002
— Collection : Mains et Merveilles
— Format : 28 x 29,50 cm (sous coffret)
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Page(s) : 341
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-7291-1380-0
— Prix : 92 €

Solitude et fureur du quotidien (extraits)
par Dimitri Analis

Milos Sobaï;c est hanté par l’événement immédiat et par son corollaire : l’absence de la mémoire. Son travail, qui vise à provoquer un choc dans le banal, à faire imploser sa domination, laisse ouverte la question du souvenir, qui pourtant ne cesse de préoccuper tout artiste.

Il me faut ici marquer une pause pour insister sur un aspect de la technique de Sobaï;c qui semble évident au premier coup d’œil, mais qui, de par sa présence trop visible, s’efface au point de passer pour « normal », et devient donc difficilement perceptible. Non seulement la rupture entre la représentation concrète et la peinture abstraite se fait sur la même surface, donnant ainsi une toile « double », mais elle se cache derrière cette représentation par la remise en question du pouvoir cathartique de l’œuvre. Autrement dit, la partie abstraite montre à la fois les limites et les possibilités illimitées de l’art, lorsque l’art est celui d’un véritable artiste, c’est-à-dire un artiste libre, capable de toucher le regard profond de l’homme au-delà du barrage du temps. C’est là toute la différence entre une œuvre vivante et un cadavre massacré. Trop souvent, on prétend impressionner et frapper le public et rendre le regard de la foule complice du n’importe quoi, de l’insignifiance, de la barbarie. Détourner l’art est devenu pour les faux artistes le meilleur moyen -— il en a toujours été ainsi — d’occulter l’existence des vrais. La « liberté du créateur » et l’incompréhension du public se sont révélées être la voie la plus sûre pour les fanatiques avides de pouvoir et d’argent, qui tentent de se donner un nom et de satisfaire leur narcissisme nihiliste. Leur dénonciation, dont est porteuse la peinture de Sobaï;c, est bien entendu éminemment équivoque et anti-esthétique, car en présentant deux manières de peindre, à égalité, elle semble les narguer, nier tout aussi bien la toile que le sujet lui-même. C’est le prix du courage et de la vraie liberté.

Passê et présent sont mêlés et difficilement séparables dans une œuvre qui bouscule les traditions de la peinture et de la sculpture et qui tient en éveil la mémoire, quitte à la malmener. L’homme, sujet obligatoire et tabou de l’art moderne, devenu transparent de par l’importance des objets qui l’entourent, ne cesse d’habiter la représentation. Chez Sobaï;c, l’homme se situe à côté, il est absent, comme dans un sommeil où l’on croit être éloigné de son propre corps, où l’on devient son propre spectateur. En revanche, les choses, les accessoires, sont omniprésents, entiers, intacts. Seuls les corps, rares et anonymes, sont torturés, déchirés. Mais, avant de constater cette démence inhérente à la prolifération des ustensiles qui s’attaquent à l’homme, Sobaîc intègre leur participation : il sait qu’il s’agit d’une action visible et secrète qui transcende l’esthétisme du laid et du sublime pour une exigence plus forte et plus profonde qui conduit à une catharsis. Agressivité du monde, du moi et de l’autre, mais évacuée. L’œil devient aussi fort que la main.

La violence est souvent à double tranchant pour celui qui s’en sert. Elle veut appliquer sa loi, mais elle finit toujours par faire le jeu d’un troisième larron, la mort. C’est ce règne de l’absurde, quotidien et policier, qui hante parfois la nuit de certains artistes. Sobaîc le saisit en son élan final, alors qu’il tente de se justifier. Telle est l’image, immédiate et crue, qu’il essaye de montrer, et ce bien au-delà de l’exaltation ou de la d’énonciation : abolition de la mesure humaine, le temps remplaçant la réalité et voulant s’interposer entre l’œil et la vérité. L’élan vers le crime ou l’autopunition est donc aussi une sortie vers le lieu d’ablution — cette salle de bains qui n’est plus un symbole mais le lieu même dans lequel le bourreau (ou la victime) tente de se purifier. À moins que ce ne soit le spectateur, obligé d’avouer ses pulsions et son implication totale dans un acte qui n’est plus un geste de beauté ou de laideur, mais un mouvement vers la libération.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des Éditions de La Différence)

L’artiste

Milos Sobaï;c, né à Belgrade en 1945 et parisien depuis 1972, est un des peintres les plus talentueux du territoire éclaté de l’ancienne Yougoslavie.