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Material

PStéphanie Katz
@12 Jan 2008

Pour cette ouverture de septembre, la galerie Jocelyn Wolff poursuit un projet initié l’année précédente: une sélection de jeunes artistes mise en place conjointement entre le galeriste et un artiste. C’est aujourd’hui Christoph Weber qui insuffle à cet accrochage collectif l’élan initial, à travers une pièce qui a pour titre Material.

Il s’agit de l’épure d’un livre, ou plutôt d’un catalogue, qui reprend page à page les indications de matériels utilisés pour les œuvres présentées dans la bible de l’art contemporain The Art of the Millenium.

Un tel cadrage veut rappeler que l’art est avant tout un pari, celui d’une matière capable de se faire véhicule de signification. C’est dans cet esprit que les œuvres présentées vont toujours mettre en œuvre une tension entre leur concrétude parfois très présente, et leur aspiration à la légèreté, voire l’effacement.

À commencer par la seconde œuvre que présente Christoph Weber, provenant de la série des «Objets externes», qui relève de l’empreinte et hésite entre présence et manifestation d’un non-lieu. À l’aide d’une technique de moulage, Weber prélève en creux la surface du réel, comme pour mieux faire revenir dans l’espace de la galerie une peau du monde qui y ferait défaut. Véritable archivage des textures du réel, les cubes de Weber proviennent d’un pliage méthodique de ces empreintes dermiques «externes».

L’interrogation de la surface des choses se retrouve encore dans deux propositions, l’une de Tina Schulz (Prop Prop), l’autre de Marlène Haring (La Grande Marlène). Par un jeu d’illusion d’optique, Schulz interpelle, à travers les générations, les propositions minimales et conceptuelles d’un Carl André ou d’un Donald Judd. De grandes feuilles de papier, installées comme des toiles sur des cadres en bois, jouent de leur fragilité discrète. Elles ont été patiemment recouvertes de graphite, de façon à construire une tension entre l’effet visuel de densité, et la légèreté réelle de la proposition. Cette proposition signe la volonté d’une génération d’artistes qui construisent une esthétique du «presque rien», sans pour autant faire table rase des références.
Dans le même esprit, La Grande Marlène se présente comme un miroir aux dimensions du corps humain, intégralement obscurci par une couche de crème Nivéa. Évoluant progressivement du monochrome blanc minimal vers la croûte organique, la pièce impose ses métamorphoses. Elle interroge l’austérité de la modernité qui, se privant des charmes de la représentation, a dû faire l’impasse sur la dimension cosmétique et artificielle de l’art.

Confirmant le dialogue intergénérationnel, deux autres propositions conjuguent pulsations imperceptibles et pureté conceptuelle. Dans une référence explicite tant à la chaise de Kossuth qu’à celle de Van Gogh, Jan Mancuska réalise une installation efficace: collées au mur, des lames de bois restituent l’illusion spatiale d’une chaise saisie en perspective. Nous sommes face à une chaise paradoxale, qui affirme à la fois sa réalité matérielle et sa virtualité illusionniste. Le trouble se confirme quand le spectateur entre en négociation avec l’ombre projetée de cette chaise improbable.

Si le spectateur se sent pris au piège du labyrinthe des illusions et de leurs déconstructions, il doit pourtant se rendre à l’évidence: de son côté, l’œuvre vie d’une vie tranquille, loin de ses inquiétudes de voyeur. En observant attentivement, on s’aperçoit en effet que l’œuvre respire sereinement, comme installée dans cette vie des objets qui échappe toujours à l’observateur pragmatique. Un léger renflement de l’ombre suggère la permanence énergétique des choses, qu’aucune définition trop strictement conceptuelle ne restituera jamais. A n’en pas douter, le paradoxe de la chaise est là, qui observe le spectateur.

Une posture similaire anime une seconde proposition de Schulz. Un moniteur donne à voir «le portrait» apparemment immobile d’un espace vide, qui semble bien correspondre à des cimaises en attente d’accrochage. Or, par un jeu de chevauchement photographique, l’artiste insuffle une respiration à l’image. Si bien que ce lieu, traditionnellement dévolu aux agitations du monde de l’art, se laisse surprendre par une caméra de surveillance pendant un temps de vacation: au calme, son repos pulse délicatement à la surface des cimaises.

Plus qu’une exposition de groupe visant à présenter les nouveaux poulains de la galerie, «Material» semble plutôt poser les bases d’un regard spécifique: celui d’un galeriste qui interroge, au-delà de leur signification, la présence incarnée des œuvres.

Katinka Bock
— Echafaudage pour une colonne, 2006. Bois, pierre. 80 x 50 x 50 cm.

Andreas Fogarasi
— Walt Disney Concert Hall ( Fondation, Sugar Audrey Betty, Milsetone Public/Private , Betty and Fred, Wendy and Ken ), n.d. 4 frottages sur papier. 45,5 x 61 cm chaque.
— Kultur und Freizeit, 2006. 3 plaques d’aluminium, lampes Led. 70 x 100 chaque.

Jan Mancuska
— Inner Shadow, 2005. Bois sur mur, projection. Dimension variable.

Christoph Weber
— Material, 2002. Livre. 281 pages.

Tina Schulz
— Prop Prop, 2006. Graphite sur papier.

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