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Ma vie mal dessinée

Gipi se raconte dans ces pages. Il raconte l’histoire d’un jeune homme dégingandé au milieu de sa bande d’amis, attiré par les expériences nouvelles et hors normes, le mélange d’aliments impossibles, la drogue, la prison. Il raconte l’histoire d’un ado et post-ado qui se prend les pieds dans le tapis avec les filles, qui va même jusqu’à explorer les voies du suicide pour échapper à ses premiers échecs amoureux. Gipi évoque aussi et de manière plus tragique son enfance et le chaos qui a suivi sa rencontre avec le « Maniaque de Tirrenia », un homme à la silhouette obscure qui tentera d’abuser de la sœur du petit garçon qu’il était. Un secret bien gardé qui le saisira encore adulte et inaugurera toute une série de démission, jusqu’à la maladie qui trahit son propre corps.

Car si Ma vie mal dessinée prend appui sur les souvenirs du personnage, souvenirs réels ou fictionnels pour l’auteur (la frontière est volontairement poreuse), le présent place bien souvent Gianni entre les mains des médecins.
Généralement incapables d’ailleurs, qu’ils soient généralistes, dentistes ou psychologues, son jugement est sans détour. Ils auront pourtant le mérite de le faire parler, de creuser avec lui les affres de la mémoire et d’égrener ce récit de manière aussi décousu que peut le faire quelqu’un qui se livre pour la première fois. Gianni n’est pas un hypocondriaque, juste quelqu’un habité par des doutes. Des doutes qui prennent par moment la forme de ses fantômes (le maniaque sexuel, le pirate sanguinaire, l’ours au tic de langage) ou bien celle de ses médecins justement. Ensemble ce petit cortège sardonique et complètement irréel avancera au rythme des grands chapitres de la vie de Gianni, dessinant sa mort pour les mauvaises fées ou tentant de l’en extirper pour les autres. Des compagnons de route en quelque sorte, essentiels pour sa rémission.

Les illustrations de Gipi traduisent ces mélanges, ces allers-retours permanents entre le présent et le souvenir, entre la vérité crue et les fantasmes les plus échevelés. A l’intérieur de son récit, l’auteur aménage des « couloirs » fondés sur des temporalités différentes (celui du pirate est le plus évident) et des moments où la tension se resserre. La rencontre de ses temporalités, leurs imbrications même, densifient la lecture pour la rendre plus âpre, plus complexe, plus vertigineuse.

Gipi maîtrise avec brio les accidents qui cisaillent son récit. Et le dessin, aussi rapide que précis dans l’exécution, se fait l’écho de cette traversée d’écorché qui n’en oublie pas d’être caustique à chaque page.
Ma vie mal dessinée est un ouvrage précieux, prodigue en désillusion comme en amour.

Gipi „ Futuropolis, 2009