PHOTO | CRITIQUE

L’instinct de l’instant. 50 ans de photographie

PNicolas Villodre
@31 Mar 2009

L’exposition printemps-été d Musée de la Vie romantique présente 110 des plus célèbres clichés de Marc Riboud : des tirages millésimés ou vintages en noir et blanc, des variantes, des repentirs, ou des prises de vue voisines de planches de contacts.

La mini-rétrospective Marc Riboud conçue par Daniel Marchesseau et Catherine de Bourgoing montre diverses facettes du photographe-voyageur. L’attrait de l’insolite ou, si l’on veut, d’un certain pittoresque qui a pour envers et pour complément l’étrange, est une des constantes dans son travail — Kyber Pass (1955) et les signaux routiers amusants, bricolés, dessinés à la main, ayant pour objet de séparer le bon grain de l’ivraie : la voiture à pétrole de la traction animale, mulets et chameaux confondus.

L’exception à la règle ou la possibilité d’une image floue — Accra (1960, Ghana) avec deux enfants pratiquant la boxe à la française sur une plage, le soir venant. Le mouvement est visible sur pellicule, pas du tout les protagonistes. Peu importe. La composition à l’équilibre précaire emporte le morceau. L’instant semble avoir des vitesses variables.

L’art du mouvement. Cette fois-ci, celui de la guinche. Danseurs (1960, Guinée) présente assez curieusement le cavalier et sa partenaire de dos, comme si le photographe se tenait en coulisses, alors que la scène se déroule en plein air.

Le travail à l’épreuve. La preuve par l’image de l’activité humaine, quelle qu’elle soit — Le Jeune homme portant des rames (1960, Ghana). Les deux énormes pagaies, semblables aux paluches d’un gigantesque Donald, contrastent avec la minceur du jeune godilleur.

La légende et la réalité. Alors que le photographe a écrit à la main «Étrange rencontre en Calabre», les concepteurs du cartel ont intitulé l’image: Mafioso et vieille dame (1976, Naples). Faudrait savoir ! soit on est à Naples et c’est de Camorra qu’il faut parler, soit on est en Calabre et c’est de Mafia.

Le Peintre de la Tour Eiffel (1953) : fameux vintage pris en période de restauration du monument parisien, dans une position inconfortable, acrobatique, vertigineuse du modèle et du photographe. Dans ce cliché, contrairement à celui où le peintre mime le geste d’une danseuse classique, l’ouvrier ne pose pas mais la courbure du corps épouse l’angle droit de la structure métallique de la Tour.

Le symbole politique du pot de terre contre le pot de fer ou La Jeune Fille à la fleur (1967, Washington) : les variantes montrent le personnage féminin les bras écartés, pris d’un peu plus loin, ou… en couleur.

L’amour de la beauté féminine sous toutes ses formes et en tous pays. Dans Hommage au Président Kwame N’Krunah (1960, Ghana), une jeune fille porte une robe imprimée avec, en guise de motif floral, le visage du père de l’indépendance du pays. L’Élégante Indonésienne avec son tamis (1956), ou la grâce du geste quotidien. La composition subtile de Japonaises et jeux de mains (1958), avec ce geste de fausse pudeur qui n’a vraiment rien à voir avec celui de l’officier soviétique refusant d’être photographié sur la Place Rouge (1967).

Le photographe et les chats sauvages — Rue Mouffetard (1953) : un artiste de rue faisant un numéro de dompteur de matou, sans doute l’animal le plus difficile à dresser.

Rêverie contemplative. Las de fixer le pittoresque, le détail qui tue, le punctum cher à Roland Barthes, ennuyé de focaliser à tout bout de champ, si l’on peut dire, d’ajuster, d’affiner, de faire le point, d’accommoder en permanence, le photographe se coule dans le paysage, se met à divaguer, invite le spectateur à en faire de même, à laisser libre cours à son imagination.
Paris (1953) montre un promeneur solitaire vêtu d’un imper, coiffé d’un béret, photographié de dos, errant comme notre regard dans le jardin des Tuileries. William Klein en Touraine (1962) illustre bien le repos du guerrier qu’est aussi le photographe — associé au prédateur, au chasseur, au tireur ou shooter —, allongé sur l’herbe près d’un étang.
Réflexions au bord d’un canal (1994) présente un beau cadrage d’arbres droits alternant avec des arbres courbés et les réflexions du soleil sur l’eau du canal.

Fenêtres d’un antiquaire
(1965, Pékin). Le thème du regard est ici d’autant mieux traité que le photographe se trouve à l’intérieur de l’échoppe, du côté des objets que les divers personnages viennent contempler.

Portraits d’une époque. Marc Riboud traverse un demi-siècle et voit le monde muer ou muter. Il capte au passage certains protagonistes emblématiques: Mao Zedong (1957) déjeunant dans une cantine pékinoise ; Fidel Castro (1963) interviewé par Jean Daniel, précise la légende manuscrite du photographe ; Chruchill déjà un peu fatigué, etc.
Ainsi que des personnalités du monde de l’art ou de la mode : Pierre Cardin et Jeanne Moreau (1964, Paris) ; Yves Saint Laurent (1964) pris de profil ; Anouk Grinberg (1991) dans la même pose que le modèle féminin d’une photo de Kertesz mise en abyme par le malicieux Marc Riboud ; Eugène Ionesco, Ô calcutta (1971, Paris), avec une comédienne dénudée vue de dos ; Bob Wilson, Isabelle Huppert et Pierre Soulages (1994, Paris), Pablo Picasso et Lump (1957, Saint-Tropez) le peintre et son chien devant le café Le Bateau ivre ; Gong Li (1993, Chine), un des plus beaux portraits qui aient été réalisés de la star chinoise ; le Dalaï Lama (1956, Calcutta), dont on a du mal à imaginer qu’il ait pu avoir été jeune. Sans parler des amis photographes : Helmut Newton et June, son épouse, la photographe Alice Springs (1990, Monaco), qui inaugure une série de tirages couleur se terminant par des prises de vue récentes montrant la modernisation de Shanghaï et un cliché pris à Union Square en 2008 avec un marchand de T-shirts à la gloire d’Obama…

Le journal de voyage de Marc Riboud abolit la distance entre le sujet et le photographe. Celui-ci est certes hors-champ (voir son autoportrait sous forme d’ombre portée en 2008) mais jamais bien lointain. Généreux, solidaire, son empathie pour les déshérités est réelle  (voir ses images des quartiers populaires de Leeds et la dignité des dockers de Liverpool en lutte en 1954). On ne sent aucune nostalgie chez Marc Riboud, ou plutôt, si nostalgie il y a, c’est qu’elle était déjà là au moment de la prise de vue, qui signifie toujours plus que prévu.

Marc Riboud
— La jeune fille à la fleur, 1967. Photographie couleur. Dimensions Variables
— Peintre de la tour Eiffel, 1953.  Photographie N&B. Dimensions Variables
— Obama, 2008.  Photographie couleur. Dimensions Variables
— Serviettes, 2005.  Photographie couleur. Dimensions Variables
— Canal, 1994. Photographie N&B. Dimensions Variables
— Maternité, 1971. Photographie N&B. Dimensions Variables

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