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L’Infini dans les sciences, l’art et la philosophie

L’infini est avant tout une notion mathématique et physique. Puis, ce concept est devenu une préoccupation débordant d’autres champs que celui de la science pure : philosophie, théologie, mais aussi art. Les contributions rassemblées ici le démontrent bien.

— Éditeurs : Université des Sciences et Technologies, Lille / L’Harmattan, Paris
— Collection : Les rendez-vous d’Archimède
— Année : 2003
— Format : 21,50 x 13,50 cm
— Illustrations : aucune
— Pages : 212
— Langue : français
— ISBN : 2-7475-3867-2
— Prix : 17 €

Introduction
par Mohamed Bouazaoui et Georges Wlodarczak (pp. 17-20)

Il est certes difficile, voire impossible, de dater avec précision le début de la dynamique du questionnement sur la notion d’infini. Depuis toujours, les hommes, les penseurs en particulier, se sont interrogés à propos de la finitude ou de I’infinitude des nombres, de l’univers et du temps, de la continuité ou de la discontinuité de la matière, de l’infini Divin, du caractère parfait ou imparfait de l’infini.

Dans l’Antiquité, ces interrogations ont d’abord conduit les philosophes grecs à des réflexions mettant en scène des situations paradoxales (paradoxes de Zénon) avant qu’Aristote ne pose la problématique en distinguant « infini en puissance » des mathématiciens et « infini en acte » dont il nia l’existence. Cette distinction a été présente dans tous les débats ultérieurs sur l’infini jusqu’au milieu du XVIème siècle qui a vu la mise en cause de la cosmologie aristotélicienne et la formulation systématique de I’héliocentrisme par Nicolas Copernic. C’est de l’évolution du concept de l’infini entre la révolution copernicienne et la fin du XVIIIème siècle que traite l’article de Michel Blay. Au cours de cette période le calcul infinitésimal a été développé par Leibniz, les paradoxes de Zénon ont été reconsidérés et le débat sur l’infini s’est trouvé enrichi du terme « indéfini », introduit par Descartes. Michel Blay nous montre que travailler sur l’infini au XVIIème siècle c’est faire des mathématiques, de la philosophie, toucher du doigt les problèmes théologiques et tenter de construire une science mathématisée du mouvement.

Marc Lachièze-Rey, dans sa contribution, retrace I’histoire de I’Infiniment grand de la cosmologie depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il expose clairement les paradoxes rencontrés jusqu’à la fin du XIXème siècle lorsque I’on considère l’univers fini (paradoxe de « bord ») mais aussi ceux suscités lorsque l’on pense l’univers infini (le paradoxe de la nuit noire ou paradoxe d’Olbers). Il aborde également l’apport de la relativité générale (théorie physique élaborée par Einstein en 1917), et de la cosmologie relativiste qui en découle, au renouvellement de la problématique de l’infini : l’espace peut aussi bien être fini qu’infini sans paradoxe. À la lumière des modèles cosmologiques actuels, Jean-Pierre Luminet nous livre des réponses originales à la question de la finitude ou de l’infinitude de l’univers. Le caractère fini ou infini de l’univers relève non pas de la relativité générale mais de la topologie. Il nous montre également que dans le cadre des modèles d’univers « chiffonnés », la forme globale de l’espace pourrait être assez « tordue » pour paraître extrêmement différent de ce qu’il est en réalité (le ciel serait le théâtre d’une gigantesque illusion d’optique !).

L’infiniment grand de la cosmologie et l’infiniment petit des particules élémentaires se sont récemment rejoints dans l’explication de l’état actuel de l’univers et de ses origines (et aussi de son ou ses évolution(s) possibles). Un nouveau concept, I’infiniment complexe, est introduit par G. Cohen-Tannoudji pour expliquer les relations entre les différentes structures dont les dimensions s’étendent entre la taille d’une particule élémentaire et celle de l’univers observable. Ces trois infinis se rejoignent dans le cadre du modèle standard des constituants élémentaires de la matière. C’est l’historique de l’élaboration de ce modèle et l’exposé de ses succès et de ses limites actuelles que nous expose G. Cohen-Tannoudji avec concision et précision. La renormalisation est aussi au centre du débat car elle permet de contourner les divergences (ou les quantités infinies) qui apparaissent au cœur du modèle. L’exposé se termine par une discussion de la notion de complexité et sa mise en œuvre dans le modèle standard pour décrire des processus à différentes échelles d’énergies. Ce modèle standard ne nous dit pas le mot de la fin de la physique de l’infiniment petit et nous apprend que des recherches théoriques en vue de dépassement de ce modèle sont actuellement en pleine effervescence.

Nous ne pouvons aborder le concept d’infini sans accorder une place importante aux mathématiques. Aristote ne reconnaissait que l’infini potentiel ou « infini en puissance » (progression qu’il est impossible d’achever comme compter les nombres entiers : après avoir énuméré jusqu’à un certain rang, on peut toujours obtenir un plus grand nombre par addition d’une unité). Cet infini en puissance est considéré comme l’infini des mathématiciens qui ne peut, d’après Aristote, correspondre à un infini en acte ou « infini actuel ». Cette notion d’infini potentiel introduite par Aristote n’a pas empêché l’apparition de paradoxes liés à la notion d’infini. Pour les mathématiciens, le plus grand paradoxe de l’infini qui a perduré jusqu’au milieu du XIXème siècle est celui de la réflexivité (Il est possible de mettre en bijection les ensembles infinis avec une de leurs parties propres : le tout est aussi grand que la partie !). C’est avec ce paradoxe que Jean-Paul Delahaye commence son article intitulé « Une infinité d’infinis ». Il nous montre comment Georg Cantor a réussi à résoudre ce paradoxe et à donner un sens précis et rigoureux à la notion d’infini en lui accordant le statut de concept mathématique. Jean-Paul Delahaye explique clairement l’énorme apport du mathématicien Cantor à la conception traditionnelle de I’infini et l’introduction d’une classification des ensembles infinis. Il analyse dans la dernière partie de son article « l’hypothèse du continu » qui a empêché Cantor de prouver la complétude de sa classification des ensembles infinis.

A. Deledicq aborde des thèmes semblables, mais de façon plus ludique et à partir d’exemples et de situations quotidiennes. Il s’agit d’apprivoiser l’infini ! Par petites touches successives, il dresse le panorama des mathématiques de l’infini, à la fois fascinantes et déconcertantes pour le profane (hypothèse du continu, analyse non-standard, limites…).

Les deux contributions précédentes soulignent le travail de Cantor comme une étape essentielle dans l’évolution du concept d’infini. Chaque fois que l’on est en présence d’une telle découverte scientifique, il est légitime de s’interroger sur la passion du scientifique, sur son environnement familial, social, philosophique, religieux… Les philosophes et les historiens des sciences essayent en somme d’appréhender « les conditions » de la découverte. C’est de la passion de Cantor, de ses interrogations sur les questions de l’infini, de son approche philosophique que traite de manière approfondie l’article de Nathalie Charraud.

Dans sa contribution Science et Mystique, J. M. Maldamé rappelle l’évolution du sens du mot infini, en relation notamment avec les aspects religieux. L’infini fut à l’origine un qualificatif réservé aux objets ou actions imparfaites (non finis ou infinis). Il prend un tout autre sens plus tard dans l’histoire lors de l’émergence des religions monothéistes. L’infini représente alors la transcendance de Dieu, par opposition au caractère fini des objets du monde Les rapports entre science et théologie, autour du concept d’infini, sont ensuite analysés dans une perspective historique, agrémentés d’extraits d’œuvres de penseurs allant de Pascal à E. Levinas.

L’infini a aussi de tout temps inspiré les artistes, qu’ils soient peintres ou musiciens. C’est à un voyage musical à travers quelques extraits d’œuvres contemporaines que nous invite T. Ménard. Sur fond de musique de sphères nous sont livrées des clés d’écoute de ces œuvres. Un parallélisme entre les développements des idées en astrophysique et celui des techniques de composition est esquissé. Au travers des visions cosmsques des compossteurs, I’infini est alors suggéré, invitant chaque auditeur à le traduire ensuite dans son espace intérieur.

L’ensemble des contributions de l’ouvrage relate l’état actuel des connaissances sur le concept de l’infini dans les sciences, I’art et la philosophie. Au-delà de leur contenu propre, elles nous suggèrent qu’à partir du monde observable ou observé, il existe une infinité de mondes possibles. C’est à l’expérience que reviendra le dernier mot, car en élargissant l’horizon, elle permettra cette exploration de l’infini des possibles.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Ustl)