ART | CRITIQUE

Let’s Dance

PAugustin Besnier
@14 Jan 2011

Sans noirceur ni pessimisme, «Let’s Dance» dévoile les artifices, regarde le temps qui passe et assume le dégrisement. Le pari de prendre à contre-pied la force iconographique de la fête était risqué, il s’avère plutôt réussi. On ne regrettera que la scénographie et le choix de certaines pièces dont la qualité n’est pas toujours à la hauteur du propos.

«Let’s Dance», sans point d’exclamation, traduit bien le désenchantement et l’enthousiasme résigné que peut receler l’appareil commémoratif. Car s’il s’agit bien de fêtes, de célébrations et d’anniversaires (le Mac/Val fête à cette occasion sa cinquième année d’existence), il est surtout ici question du temps qui passe, de Vanité et de gueule de bois.
«Il y aura des feux d’artifices, des bougies et des cadeaux» mais «il n’y aura pas de miracles», annonce le commissaire Franck Lamy en référence à l’œuvre de Nathan Coley (There Will Be No Miracles Here, 2006), qui reformule en lettres brillantes cet étrange décret contre la tenue de miracles, placardé en 1732 sur l’église Saint-Médard.

Le pari de prendre à contre-pied la force iconographique de la fête était risqué, il s’avère plutôt réussi. Parce qu’une année de plus, c’est encore une année de plus, qu’un feu d’artifice est aussi une déflagration, et que le temps célébré, c’est déjà du temps passé, ou perdu, la fête ne serait finalement que l’éclat du feu qui nous consume chaque jour.
La boule à facettes carambolée de Stuart Haygarth (Mirror Ball, 2009), l’exhortation soûle à festoyer de Claude Lévêque (Dansez!, 1995) et la joie réprimée d’Élisa Pône (I’m looking for something to believe in, 2007) nous le rappellent d’ailleurs: il n’y a pas de quoi rire.

La Vanité, décidément fort à la mode, se rencontre partout: les bougies soufflées d’Anne Brégeaut s’accumulent (Anniversaire, 2006), la voûte crânienne de Douglas Gordon se fend d’une étoile en plus (Forty One, 2007), quand nos compagnons d’enfance se désagrègent chez François-Xavier Courrèges (Fusion, 2003).
Si la négation du lendemain, le déni du futur, demeure le propre de la fête, c’est bien parce qu’elle maquille la peur du temps qui court. Une course qui s’éprouve à rebours: c’est le temps qu’il reste avant l’instant fatidique, que Gianni Motti voit filer dans sa Big Crunch Clock (1999) ou que Kris Martin donne à sa bombe avant son explosion théorique (100 years, 2004).

Face à cette appréhension du temps, on ne s’étonnera pas de voir quelques-uns goûter le présent. La bougie étincelante de Fanny Adler et Cécile Paris célèbre humblement la beauté de l’instant (New Year’s Day, 2005), le lent travelling de Melanie Manchot retient son souffle le temps d’une rare communion sociale (Celebration, 2010), pendant que le temps perdu de Proust meuble soixante heures d’une autre vie (Rebecca Bournigault, In search of lost times, 2008).

On ne s’étonnera pas non plus de voir quelques autres nier la course du temps et vouloir embaumer l’éphémère: sauver l’arbre de Noël (Philippe Parreno, Fraught Times…, 2009), redonner sens à la «Still Life» (Mark Wallinger, The Black Vase #2, 2008) ou s’offrir un feu d’artifice sans fin (l’excellent Feu d’artifice de Claude Closky, 2001). Que l’on ne s’y trompe pas pour autant: l’artificialité reste le prix à payer pour toute pérennisation du provisoire.

La réussite de cette exposition tient précisément dans le choix osé de dénier la «magie» de l’art. Les œuvres ici ne sauvent rien, ne croient ni aux miracles ni aux illusions. «Véracité de l’art: il est maintenant le seul à être sincère», affirmait Nietzsche. Sans noirceur ni pessimisme, «Let’s Dance» a cette sincérité de dévoiler l’artifice, de regarder filer le temps et d’assumer le dégrisement. Le problème de la durée s’y pose alors radicalement, en des temps où les modes d’exposition ne coïncident plus toujours avec le temps des œuvres.

De cette proposition, on ne regrettera que la scénographie — dont la froideur répond certes au sujet, mais qui entrepose parfois davantage qu’elle n’expose —, et le choix de certaines pièces dont la qualité n’est pas toujours à la hauteur du propos: la «bonne idée» de Saâdane Afif d’enrichir quotidiennement une pile de journaux, la vidéo gag de Sandra Foltz et Laurent Sfar, les photographies de Bruno Serralongue (ou l’inopportune FedEx® de Walead Beshty).

— Nathan Coley, There Will Be No Miracles Here, 2006
— Stuart Haygarth, Mirror Ball, 2009
— Claude Lévêque, Dansez!, 1995. Néons multicolores. 15 x 150 cm
— Élisa Pône, I’m looking for something to believe in, 2007. Vidéo Pal, 8’. Format 1:85.
— François-Xavier Courrèges, Fusion, 200
— Gianni Motti, Big Crunch Clock, 1999
— Kris Martin, 100 years, 2004
— Fanny Adler et Cécile Paris, New Year’s Day, 2005
— Melanie Manchot, Celebration, 2010
— Philippe Parreno, Fraught Times…, 2009
— Mark Wallinger, The Black Vase #2, 2008
— Claude Closky, Feu d’artifice, 2001
— Walead Beshty, FedEx®
— Vincent Olinet, Ma fête foraine, 2004. Structures, fanions, guirlande lumineuse, 400 x 400 x 250 cm.
— Anne Brégeaut, Anniversaire, 2006. Bougies. 6,5 x 5,5 cm
— Douglas Gordon, Forty One, 2007

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