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Les Arbres grandissent et les fluides circulent: eau, chaleur, monument

PStéphanie Katz
@12 Jan 2008

Depuis une chaudière d’eau de pluie jusqu’à une patate d’or, en passant par un cube de chaleur invisible et de l’anthracite taillée, Katinka Bock construit une recherche à la frontière de l’archaïque et du culturel, du tellurique et de l’historique, de l’artistique et du politique.

Poursuivant, au nord de l’Europe, son exploration d’une scène de l’art transfrontalier, Jocelyn Wolff présente une jeune artiste, Katinka Bock, qui vit et travaille entre Paris et Berlin.
Artiste en résidence au Centre d’art contemporain de La Synagogue de Delme, en Moselle, Katinka Bock présentait en juillet 2006 le résultat d’un an de recherches tout entier concentré autour d’une application de l’histoire du site à une réflexion formelle.
Observant le paysage de ce département à la frontière franco-allemande, elle repérait combien il présentait une double tendance: alors que les terrains de manoeuvres et bases militaires rappellent que «cette terre a été défendue et échangée pendant des siècles», les abords de la zone sont cultivés, forés, par une main humaine qui a laissé son empreinte domestique sur l’ensemble du territoire, jusqu’à l’horizon.

Entre zone de partage et exploitation d’un sol à défendre, la région permettait de révéler l’articulation archaïque entre conflit, richesse naturelle, et invention formelle du paysage. Une telle réflexion a permis à l’artiste de laisser émerger une posture fragile, à la frontière de l’architecture abstraite et du prélèvement conceptuel de fragments naturels.

C’est dans le même esprit que Katinka Bock investit aujourd’hui la Galerie Jocelyn Wolff, lieu emblématique d’une posture qui refuse de se plier aux diktats du milieu de l’art. Mettant à profit son identité atypique, la galerie n’a, en effet, pas hésité à s’installer, dès ses origines, dans un quartier éloigné des grands parcours de l’art contemporain parisien, quartier peuplé de toutes sortes de nomades volontaires ou contraints.

En travaillant sur son contexte d’exposition, l’artiste envisage de mettre à nouveau en scène le thème de recherche qui pourrait bien être à la source de son énergie créatrice, à savoir le noeud que les civilisations nouent depuis toujours autour de leurs frontières.
Car ce qui semble bien éveiller l’attention de Katinka Bock, depuis le paysage de Lorraine jusqu’à la frontière du périphérique de Paris, en passant par le quartier Belleville comme zone de transit et de flux de populations, serait l’intense activité culturelle et artistique qui se déploie autour des seuils territoriaux, activité qui tout en remplissant sa mission de protection des identités permet aussi de traverser des frontières trop violemment défendues.

Ainsi, loin de tout «désert des tartares», loin de cette conception caduque d’une frontière désertée par les passeurs, Katinka Bock s’intéresse à l’inverse aux seuils des civilisations, aux passages et écoulements qui ne cessent de filtrer aux travers des murailles les plus hermétiques.
Car, à l’ère des guerres numériques, et des plans de déplacements de populations gérés par satellites, le monde actuel poursuit imperturbablement la construction de murs illusoires, sections archaïques du territoire qui envisage encore le réel comme une richesse à s’approprier, défendre et conserver.

Avec beaucoup d’élégance et sans position démonstrative, l’installation mise en place par Katinka Bock dans la galerie vient précisément nous parler de cette fluidité du vivant qui, quoi qu’il advienne, parvient toujours à traverser les murailles les plus imperméables, à filtrer au travers des frontières les plus hermétiques, afin que la civilisation se noue autour de la cicatrice qui divise la communauté humaine.

Captant l’eau de pluie dans la gouttière, métaphore de l’élément naturel le mieux communément partagé par la population parisienne, K. Boch installe un écheveau de tuyauteries en cuivre qui traverse les différents murs extérieurs puis intérieurs du bâtiment, pour venir chauffer dans une chaudière installée dans un angle de l’espace d’exposition. L’eau ainsi collectée en dehors de tout circuit mercantile, puis chauffée, reprend ensuite son aventure à travers l’espace de la galerie, pour venir se glisser derrière un autre angle de la pièce. Ici, c’est un cube de chaleur invisible, cube tout vibrant d’une émotion volatile, qui appelle le visiteur du quartier à venir se réchauffer à la tiédeur de la création.

Alentour, comme abandonnés sur le sol de la galerie, des blocs d’anthracite articulent encore la question d’une énergie des origines à celle de l’aventure industrielle. En effet, conjuguant le sauvage et la technique, la présence tellurique de ces fragments de sous-sol est comme partiellement domestiquée par la trace lisse d’un outil humain.

Mais c’est surtout l’énigmatique Form und Inhalt (Forme et contenu) qui articule l’hypothèse d’une force de vie archaïque et la délicatesse d’un travail à la feuille d’or.
Une pièce de bois adoptant la forme d’une patate géante a été, à plusieurs reprises, brûlée puis recouverte d’or. Métaphore de la rencontre amoureuse entre la forme et le contenu, cette patate de hêtre travaille encore la proximité d’une puissance ancestrale du vivant, et le raffinement humain qui doit nécessairement s’y appliquer pour produire la civilisation.

Depuis la chaudière d’eau de pluie jusqu’à la patate d’or, en passant par le cube de chaleur invisible et l’anthracite taillée, Katinka Bock construit une recherche à la frontière de l’archaïque et du culturel, du tellurique et de l’historique, de l’artistique et du politique.

Katinka Bock
— Le Socle, 2007. Calcaire. 54 x 56 x 55 cm.
— L’Angle chaud, 2007. Healing system, copper, steel, rainwater. 78 x 37 x 174 cm.
— Form und Inhalt 2007. Beech, golden leaf. 60 x 30 x 26 cm.
— Der Kubus, 2007. Healing system, web tube, water, plaster, concrete.

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