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Le Luxembourg

PClément Dirié
@12 Jan 2008

Les quatre photographies « grandeur nature », monumentales, de fragments du sol du Jardin du Luxembourg, qui sont installées au musée Zadkine, mettent littéralement au mur le sol du jardin, et dessinent les contours d’un territoire situé entre l’espace public et sa mémoire imaginaire.

Qu’est-ce qui pousse une artiste, en l’occurrence Sophie Ristelhueber, connue pour son travail sur les conséquences dévastatrices des conflits modernes — Beyrouth, Photographies (1984), Fait sur la guerre en Irak (1992) — à présenter le jardin du Luxembourg dans sa banalité quotidienne ?

Voilà ce qui s’impose à l’esprit face aux quatre photographies inédites installées « grandeur nature » au sein de l’écrin qu’est le Musée Zadkine, l’idée d’installation étant choisie à dessein.
En effet, ces fragments du Luxembourg perturbent l’accrochage traditionnel du musée-atelier du sculpteur Ossip Zadkine. Un triple jeu s’y déroule : sur la diversité des espaces, sur la démarche de présentation et sur une re-visitation des cadres.
Si toutes les photographies sont installées de biais — en exploitant la diagonale et les lignes de fuite transversales —, chacune est isolée dans un espace déterminé : le musée, l’atelier, le jardin, le bâtiment d’entrée. Leur valeur réside donc à la fois dans leur singularité et dans leur rapprochement. De plus, leur monumentalité — ces photos fonctionnent comme des pans de mur — dessine l’architecture et les contours d’un espace imaginaire.

Et c’est bien là que nous entraîne Sophie Ristelhueber : dans un espace fictionnel où il faut revenir au détail des choses, à l’essence du réel. C’est ce qui justifie la taille de ces clichés et leur sujet.
En mettant au mur le sol du Luxembourg — elle ne fixe en effet que la terre, sa minéralité et les allées du jardin parisien, loin de son image traditionnelle —, l’artiste nous invite à prendre en considération un espace d’habitude « foulé aux pieds ». Il s’agit de « profiter de son indifférence », de ses micro-détails en vue aérienne, de re-garder ces aspects quotidiens devenus étrangers.
Et si Sophie Ristelhueber a choisi de revenir sur le théâtre de jeu de son enfance, après s’être frottée à d’autres territoires plus « exotiques », c’est justement pour montrer la part cachée de ce quotidien, pour se re-saisir de l’espace public et de sa mémoire privée.

Les deux propositions littéraires également installées dans le Musée Zadkine vont dans le sens de cette démarche.
D’une part, l’artiste a fait appel à Jean Echenoz pour qu’il commente les statues féminines du Luxembourg. Celui-ci livre, sur un mur du jardin, un texte Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre où le poétique et le descriptif se rejoignent via l’écriture de portraits-types.

Jeanne d’Albret, reine de Navarre,
tient un stylet dans sa main droite et un
parchemin roulé dans la gauche.
Coiffure : cheveux courts bouclés. Bijoux : néant.
Expression : inspirée. Présence de gros seins.

Les statues ainsi inventoriées agissent comme des objets à inspirations multiples. Sophie Ristelhueber reprend à son compte la démarche de l’archéologue (photographier et indexer). Encore une fois, il s’agit d’une re-visitation du détail et de la réalité. D’une lecture du réel qui débouche sur une sensation du réel.

D’autre part, une vitrine à l’intérieur du musée présente un extrait de Le Derviche et la Mort, de Mela Selimovic : « L’espace nous accapare. Nous ne possédons de lui que ce que l’œil peut parcourir. Mais il nous épuise, nous effraie, nous appelle, nous chasse. » Cette citation colore intentionnellement le travail d’une part théorique, réflexive. Il s’agit de se placer face à l’espace, comme face au temps.

Le retour au Luxembourg et ces allées interminables fixent un cadre hors de la photographie, disent un sujet présent à l’esprit et non à l’image. D’une certaine façon, le Luxembourg est ici hors de lui-même : il est dans l’esprit de l’artiste et dans le regard du spectateur.
Il ne prend consistance que par le travail artistique et la sensation spectatrice. C’est bien la preuve que l’espace est à la fois œuvre du réel et de la perception, donné brut et résultat de sa sensation.

Luxembourg #1, 2002. Impression jet d’encre sur bâche. 280 x 420 cm.
Luxembourg #2, 2002. Impression jet d’encre sur bâche. 268 x 420 cm.
Luxembourg #3, 2002. Impression jet d’encre sur bâche. 340 x 520 cm.
Luxembourg #4, 2002. Impression jet d’encre sur bâche. 346 x 520 cm.

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