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La Matière du mensonge

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Pour les Kolkoz l’enregistrement du réel passe désormais par le virtuel, la transformation du monde est synonyme de dédoublement. En se filmant et se digitalisant, les deux artistes explorent autant l’esthétique du copier-coller que celle de l’autoportrait. Plus doublures-lumières que clones, ils deviennent des médias à part entière, à la fois acteurs, réalisateurs, producteurs et diffuseurs de leurs vidéos.

Un peu moins de cinq ans après leur précédente exposition, les Kolkoz (Benjamin Moreau et Samuel Boutruche) reviennent à la galerie Emmanuel Perrotin. Après «Five Years», le duo propose «La matière du mensonge».
Trois films de vacances sont présentés dans trois environnements différents. La caméra dv a permis aux deux compères d’immortaliser leur séjour à Hong Kong. Les vidéos sont banales, ce sont des films amateurs comme il en existe tant d’autres, à la différence près qu’elles ont été passées par le shaker de l’ordinateur. Le tout a été modélisé et se présente sous l’aspect d’un film d’animation 3D.

Le rendu est proche de Toy Story (1995), le premier film réalisé numériquement et produit par Pixar. A part nos deux personnages fidèlement modélisés, les êtres qu’ils croisent sur leur chemin ressemblent à des mannequins de crash test. Les membres sont en volume et appartiennent autant au film d’animation de synthèse qu’à Cézanne, le père du cubisme.

L’enregistrement du réel passe désormais par le virtuel. L’adage cybernétique pousse le duo à créer de nouvelles anamorphoses à l’aide des logiciels 3D. Les marionnettes se digitalisent mais le souvenir de la Dame à la cafetière (1890-1895) de Cézanne est encore présent à notre mémoire collective. Cette virago mécanisée à l’extrême, rutilante comme une locomotive, cuirassée comme une porte blindée reflète son époque dominée par le charbon et l’acier, elle se métamorphose en cafetière. Nos deux artistes mixent cette histoire de l’art et l’accouple à une problématique et une esthétique actuelles.

En proposant de modéliser des appartements de collectionneurs, en se clonant en héros de jeux vidéos, en modélisant leur film de vacances, les Kolkoz parviennent à chroniquer l’esprit du temps dominé par les médias et la bulle internet.
La transformation du monde est synonyme chez eux de dédoublement. «Notre histoire», la dernière exposition de Nicolas Bourriaud et de Jérôme Sans au Palais de Tokyo, faisait le bilan de la jeune création française. Un des films des Kolkoz y était présenté. La visite des deux espaces permet de mette en abîme le questionnement posé par les œuvres.

Depuis l’apparition des appareils photo dans les téléphones mobiles, les attitudes ont changé dans les centres d’art. Des spectateurs rivés à leur écran se complaisent à photographier leurs amis devant des réalisations monumentales et atypiques. Cette transformation a commencé avec l’apparition des camescopes.
Chacun joue à se filmer et à s’éloigner du moment présent.

Les Kolkoz collent à cette actualité de l’aller-retour et du copier-coller. Loin d’être une «matière du mensonge», ces nouvelles pratiques réactualisent le mythe de Narcisse. Cette déferlante envahit toute notre société. L’esthétique de la webcam, de la vidéo-surveillance, comme celle de la télé-réalité gagne autant les esprits que les mœurs. Warhol voulait être une machine, désormais les gens veulent devenir des médias.
Nos deux aventuriers réactualisent ces données. Avec ironie et envie ils se mettent en scène et réclament leur quart d’heure de célébrité. Ils se clonent pour être des personnages de jeux vidéo, mais loin de la multiplicité c’est la figure du double qu’ils convoquent. Figurants de leurs productions, ils parviennent à y tenir tous les rôles. Ils sont les acteurs et les opérateurs de leur projet. Doublure plus que clone, ils sont les personnages de l’univers qu’ils lancent sur le réseau.

Nos deux aventuriers du cyber monde ne se clonent pas mais se dédoublent dans des mondes virtuels et parallèles. Les dispositifs du double et de l’anamorphose passent désormais par le biais de l’écran. Les métamorphoses s’opèrent à travers les logiciels. L’autre côté du miroir est peut-être écranique, mais la question de l’autoportrait reste posée même si le filtre est celui du jeu vidéo.
Nos deux Narcisse ne se reflètent pas dans une eau stagnante mais dans les voxels qu’ils ont eux-mêmes contribué à forger. Pour l’anecdote, Pixar, filiale de Disney, a racheté la maison mère. Les Kolkoz feront-ils la même OPA. sur l’avenir ?

English translation : Margot Ross
Traducciòn española : Santiago Borja

Kolkoz
Players, Kolkoz.org, 2002. Tirage photographique couleur, boîte en carton, cd-rom. 120 X 80 cm.
Film de vacances, Hong-Kong, 2003. Installation, bois, métal, laque, écrans vidéo, lecteur dvd, dvd. 170 X 215 X 215 cm.
Film de vacances, Hong-Kong, 2003. Vidéo.
Film de vacances, New-York, n.d. Vidéo.
Kolkoz Tower, New-York, Brooklyn Bridge, 2005. Photographie contrecollée sur aluminium. 100 X 140 cm.
Kolkoz Tower, New-York, Ground Zero, 2005. Photographie contrecollée sur aluminium. 100 X 140 cm.
Portrait Arabe, Picasso, 2004. Encre sur papier. 109 X 111 cm.

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