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J’ai dormi pendant deux cents ans

06 Jan - 31 Jan 2009
Vernissage le 06 Jan 2009

Zan Jbai peint des toiles entre apparition et disparition, sans contour. L’oeil du spectateur discerne peu à peu, comme après une longue exposition face au soleil, une silhouette sans tête ou un portrait qui flotte, à la fois flou et précis, fragile et d’une présence de plus en plus affirmée à mesure que l’oeil s’y habitue.

Zan Jbai
J’ai dormi pendant deux cents ans

La galerie Kamel Mennour présente la seconde exposition personnelle de Zan Jbai.

L’art contemporain chinois est menacé par plusieurs travers et de nombreuses facilités. Le degré d’un exotisme savamment orchestré à des fins commerciales, la fausse distance critique à l’égard du maoïsme ou du capitalisme, les influences tantôt du réalisme hérité de l’époque soviétique, tantôt du pop-art occidental, sont les ornières les plus fréquentes dont le public amateur, que ce soit en Chine, en Europe où ailleurs, commence à être profondément lassé. La galerie Kamel Mennour offre une voie différente.

Après avoir exposé l’artiste Shen Yuan, de la génération post-Tiananmen 1989, et ses installations au ludisme acide, Kamel Mennour propose un artiste de la nouvelle génération, moins marqué par les problématiques politiques que par la crise de l’individu.

Zan Jbai est né en 1980, à Ningbo, ville portuaire de la province méridionale du Zhejiang, reliée à Shanghai par un pont suspendu. Ningbo eut à souffrir pendant la guerre contre le Japon d’un bombardement de bombes en céramique contenant le virus de la Peste. Puis, les cinquante années du régime maoïste dur ont plongé la région dans les mêmes difficultés qu’ailleurs. Depuis une quinzaine d’années, Ningbo bénéficie du développement économique de la Chine méridionale. Son port en eaux profondes est devenu un des plus actifs du monde, attirant des foules de travailleurs migrants, les mingong, avec le cortège de problèmes sociaux que ceux-ci emmènent avec eux.

Zan Jbai n’est pas resté dans sa ville natale. Dès l’âge de quinze ans, ses études l’ont porté vers Hangzhou, à l’Académie des beaux-arts de Chine. Le passage d’une ville industrielle moderne à l’un des bastions de la culture classique, capitale de la Chine sous la dynastie des Song du Sud aux XIIe et XIIIe siècles, célébrée comme la plus belle ville du monde quand Marco Polo y arriva (et pourtant, il avait vu Venise !), ne peut avoir été anodin. L’ancrage profond de l’art de Zan Jbai dans la tradition classique et sa sensibilité aiguë à la fragilité de l’humain sont tributaires de cette double appartenance géographique.

A vingt-et-un ans, Zan Jbai part en France. Il y habite six ans, jusqu’en 2007, année où, diplômé des beaux-arts, il décide de passer six mois à Berlin afin d’en mesurer l’énergie créatrice. Berlin est une ville qui parle aux Chinois – une histoire commune, le même appétit d’art et d’architecture.

Zan Jbai vit actuellement à Pékin, non loin du quartier de Qijiuba (798), scène majeure de la création contemporaine chinoise. Artiste contemporain, Zan Jbai ? Par définition, bien sûr, mais Zan Jbai est davantage intéressé par le « regard contemporain » que par l’art contemporain en tant que tel.

Ses recherches plastiques sont novatrices d’un point de vue technique et confèrent à ses oeuvres une grande originalité : l’instinct photographique se dissout sur la toile dans une peinture à l’huile sans contour. L’oeil du spectateur discerne peu à peu, comme après une longue exposition face au soleil, une silhouette sans tête ou un portrait qui flotte, à la fois flou et précis, fragile et d’une présence de plus en plus affirmée à mesure que l’oeil s’y habitue.

Il est rare qu’un artiste chinois contemporain refuse une trop grande contemporanéité sans pour autant tomber dans le plagiat de peinture classique. Zan Jbai parvient à être de son temps, tout en s’abreuvant à la source de la peinture traditionnelle, non pas au niveau des motifs – pas de « montagne et eau » ni d’« oiseaux et fleurs » dans son oeuvre -, mais de l’esprit lui-même.

« Ne pas être direct, faire surgir le beaucoup au travers du peu, la force vient du vide », selon ses propres mots. Il rejoint ici, tout en restant lui même, la démarche des peintres de la Chine ancienne, tel que les Maîtres Yuan au XIIIe siècle ou encore Zhu Da, au XVIIe, dont les peintures ouvrent sur une vision dix mille fois plus large que le seul motif représenté.

Qui a su admirer ces traits d’encre sur un fond laissé vierge a ressenti la vertu de cette ellipse de l’art : l’art ne peut jamais, en aucun cas, dire l’ensemble de la réalité. Il n’en donne qu’un aperçu. Les peintres de la Chine ancienne ont saisi qu’il valait mieux laisser le sujet s’étendre et prendre vie dans l’esprit du spectateur que de tenter naïvement de le capturer avec un pinceau.

Pour créer une oeuvre résolument sienne, Zan Jbai s’inspire ainsi des qualités traditionnelles de la peinture chinoise : le vide où la forme se libère, mais aussi la fadeur. Le voile blanc derrière lequel peint Zan Jbai confère aux silhouettes ou portraits représentés tantôt une douceur précieuse qui confine au magique, tantôt une violence très grande, d’autant plus explicite qu’elle reste silencieuse.

On ne sait s’il y a apparition ou disparition. Nous sommes en présence d’un au-delà : ces fantômes sont des âmes, insaisissables et pourtant très vivantes. Ainsi, Zan Jbai est un peintre chinois qui travaille avec une essence chinoise très maîtrisée, mais dédouanée d’une symbolique par trop « orientale ». Comme il le dit lui-même : « Je suis un peintre oriental qui refuse d’utiliser les signes asiatiques ou orientaux. Pas de stigmates culturels ! »

Dans L’Empire des signes, en 1970, Roland Barthes appelait de ses voeux une connaissance plus juste de l’Orient, à l’écart d’une symbolique surajoutée. C’est cela que nous offre Zan Jbai : peintre chinois en profondeur, mais, avant tout, peintre.

Au XVIIIe siècle, un génie de la peinture chinoise exprimait déjà ainsi cette nécessité d’être soi même : « La tradition est l’instrument de la connaissance ; transformer consiste à connaître cet instrument sans toutefois s’en faire le serviteur. (…)

Vernissage

Mardi 6 janvier 2009. 19h-21h30.

critique

Zan Jbai. J’ai dormi pendant deux cents ans

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