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Ici

05 Juin - 28 Juil 2012
Vernissage le 05 Juin 2012

L’art aurait-il quelque chose à nous apprendre sur l’espace dans lequel nous vivons? L’exposition Ici organisée en parallèle de l’exposition «Là-bas» à la Maison européenne de la photographie nous propose de découvrir des espaces particuliers, des ailleurs, des lieux, hors de tous les lieux qui pourtant restent localisables.

Maayan Amir et Ruti Sela, Joseph Dadoune, Nir Evron, Raafat Hattab, Nira Pereg, Public Movement
Ici

Les vidéos présentées invitent le spectateur à s’interroger sur cette fonction hétérotopologique de l’art en lui donnant accès à ces lieux qui expriment une contestation à la fois mythique et réelle de tous les espaces et particulièrement de celui dans lequel nous vivons. Ces contre-espaces artistiques permettent pour un temps d’échapper aux « Ici » qui nous oppressent, ils s’opposent aux autres lieux et sont destinés à les neutraliser, à les purifier voire à les effacer.
Pour nous aider à mieux appréhender le concept des utopies localisées, Michel Foucault rappelle que notre existence s’inscrit dans un rapport aux lieux, il fait également référence à nos souvenirs d’enfance et prend comme exemple «le grand lit des parents. C’est sur ce grand lit qu’on découvre l’océan, puisqu’on peut nager entre les couvertures et puis ce grand lit, c’est aussi le ciel, puisqu’on peut bondir sur les ressorts, c’est la forêt, puisqu’on s’y cache, c’est la nuit puisqu’on y devient fantôme entre les draps, c’est le plaisir, enfin, puisqu’à la rentrée des parents, on va être puni». (Michel Foucault, Les Hétérotopies — Le Corps Utopique, Paris, Lignes, 2009).

Le grand lit des parents, c’est bien sûr aussi la tente d’indien sous les draps où la tribu peut venir se retrouver autour du chef pour organiser la résistance contre les cow-boys. Dresser des tentes le long du boulevard principal de Tel-Aviv, c’est justement ce qu’ont fait des milliers d’habitants pendant l’été 2011 pour manifester leurs indignations face à leurs dirigeants et leurs désirs de changer le système social du pays. Serait-ce la manifestation d’une hétérotopie?

Au cours de son histoire, toute société peut constituer de nouvelles hétérotopies ou au contraire les résorber et les faire disparaître. Quel plus bel exemple d’invention d’une hétérotopie moderne que la découverte du point G par le gynécologue allemand Ernest Gräfenberg dans les années 1950? Le point G est absolument «l’autre lieu», une zone localisable dans le vagin des femmes qui, stimulée, est susceptible de produire des orgasmes.

Dans la vidéo G-spotting, Nira Pereg joue sur la confusion des lieux et critique la vision masculine qui réduit le plaisir féminin à la topographie d’un lieu. Sur la façade d’un immeuble aux lignes strictes, la caméra se déplace aux ordres d’une voix autoritaire à la recherche de ce fameux point G.

Dans Bidun (sans titre), Raafat Hattab, un artiste arabe israélien se met en scène en train d’arroser un olivier, de cueillir ses fruits et de prendre soin du carré de terre au milieu duquel il est planté. Une bande-son accompagne cette activité paisible et reprend une chanson libanaise dont le refrain est: je quitte cette place.
Lorsque la caméra s’éloigne, le spectateur réalise que l’arbre entretenu est au milieu de la place Yitzhak Rabin à Tel-Aviv, lieu hautement symbolique puisqu’il s’agit de l’ancienne place des rois où le premier ministre israélien fut assassiné en 1995 lors d’une manifestation pour la paix. Raafat Hattab veut continuer à entretenir l’arbre, symbole de son exil sous le regard indifférent des autres habitants.

Créé en 2006 par Omer Krieger et Dana Yahalomi, Public Movement est un organisme de recherche performative qui étudie et met en scène des actions politiques dans les espaces publics. Dans Promotional Video, ils copient le documentaire de propagande avec des danses folkloriques et des marches militaires exécutées par des adolescents devant des symboles nationaux comme la Knesset (le Parlement), la place Yitzhak Rabin ou le théâtre Habima en reconstruction. À partir d’un lieu et d’un moment historique précis dans la vie des individus, ce collectif veut toucher plus largement les communautés, les institutions sociales, les peuples, les Etats et finalement l’humanité dans sa globalité.

Le travail de Joseph Dadoune s’inscrit dans un projet global social et artistique. Depuis près de douze ans, cet artiste franco-israélien travaille auprès de la communauté de sa ville d’enfance pour valoriser et redynamiser les différentes activités tant culturelles qu’économiques de la ville. Ofakim, est une ville industrielle du Negev, construite sur le sable en 1955 qui n’a pas pu résister aux différentes crises économiques. Suite à la fermeture des usines et à l’explosion du chômage, l’avenir s’est progressivement assombri, notamment pour la jeune génération qui déserte progressivement. Dans son court-métrage, Ofakim, Joseph travaille sur le rêve de cette jeunesse abandonnée: dix adolescents dans une procession macabre transportent un missile de l’usine «Of-Ar» (lieu d’un projet architectural de réhabilitation d’une ancienne usine de textile en centre culturel) vers Gaza, d’où il sera lancé.

En 2009, deux artistes Tel-Aviviennes, Maayan Amiret et Ruti Sela ont construit une galerie flottante et un espace de conférence dans les eaux extraterritoriales au large d’Israël. Cet espace neutre — en dehors de tout territoire officiel — accueille des forums sur les questions de frontières et d’identité et compile des films réalisés par divers artistes du Moyen-Orient. Extras s’inscrit dans le cadre d’une série d’interventions qui renouvellent la compréhension des «extraterritorialités» au travers des implications de nouvelles technologies de pointe. Extras – le nom de la vidéo joue sur les deux sens possibles du mot en anglais, «extraterritoriaux» ou «figurants» — montre un groupe de figurants qui participe a une expérience de stimulation magnétique transcrânienne. Cette nouvelle technologie — par une méthode non invasive — peut stimuler l’activité cérébrale et contrôler artificiellement de l’extérieur les mouvements du corps. Ce travail explore les questions de l’autonomie, des frontières entre les disciplines mais aussi du lieu et de la manière dont s’exerce le pouvoir sur les individus.

Echo, la vidéo de Nir Evron, commence de façon abstraite par des carrés de couleurs neutres, des pixels qui évoluent mécaniquement au son de quatre accords monotones de guitare. Dans un zoom arrière lent et continu, la caméra laisse apparaître progressivement les premiers éléments d’une scène concrète: un haut-parleur lors d’un rassemblement, des feux clignotants etc. La scène vers laquelle Echo ne cesse de nous ramener prend place en 1985, lors de manifestations en réaction à la fermeture de l’usine textile ATA à Haïfa, au nord d’Israël. Fondée dans les années 1930, l’usine produisait des uniformes et autres vêtements pour les travailleurs, les soldats, et des kibboutzim. La fermeture d’ATA est le symbole d’une crise sociale majeure pour le pays, qui a provoqué la mise au chômage de 3000 personnes. Nir Evron nous sensibilise ainsi sur la fin de l’Etat-providence et l’entrée de plain-pied dans la mondialisation.

Notre but dans cette exposition était de montrer des «ailleurs» construits par les artistes comme autant d’hétérotopies dans des « Ici » qu’ils voudraient voir changer. Comme le bateau le fût pour Michel Foucault, l’art contemporain est pour nous la plus grande réserve d’imagination. Toutes les cultures constituent leurs propres hétérotopies mais chacune sous des formes variées. C’est le mérite des artistes que de nous révéler et de nous permettre d’accéder à ces lieux secrets. À partir de ce moment-là, libre à chacun de modifier son « Ici ».

Marie Shek, mai 2012

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