ART | CRITIQUE

Furtivo

PPierre-Évariste Douaire
@14 Avr 2008

Après un rhinocéros rouge, Xavier Veilhan enrichit son bestiaire d’un requin. Après le héros de la savane, l’artiste s’attaque au seigneur des mers. Au lieu de le plonger dans le formol comme Damien Hirst, il le pose sur sa quille et le laisse se déployer au milieu d’une salle vide. A la place de la résine rouge, le squale est biseauté comme les boules à facette des boîtes de nuit. Profilé comme un avion de chasse furtif indétectable aux radars, il est aussi brillant qu’un diamant et aussi réfléchissant qu’un miroir.

Xavier Veilhan expose un requin grandeur réelle. Sculpture en miroir, boule à facettes sur socle, le requin sur sa quille reflète l’espace autour de lui. On peut s’approcher, se mirer, regarder son reflet. Clou de l’exposition, il est au centre de tous les regards, de toutes les attentions. Sa réalisation n’est pas parfaite car ses nageoires ventrales ne passaient pas le seuil de la galerie. Le squale à facettes est promu à un avenir aussi singulier que le rhinocéros rouge trônant au Musée national d’art moderne de Paris. Dans les deux cas la référence animalière joue à fond, l’échelle un renforce la relation au spectateur.

OVNI singulier, cet Objet Veilhan Nautique Identifiable, cet UFO particulier Utilitar Form Object, cet engin découpé, poli, n’est pourtant pas la clef de voûte de l’exposition Furtivo. Il en est le symbole, la pièce maîtresse, mais n’en constitue qu’une des pistes, tant les propositions sont riches et nombreuses : comme les écrans éclairés à la bougie, les silhouettes découpées ou le billard à plateau amovible. L’intérêt que porte Xavier Veilhan à l’histoire de l’exposition le pousse sans cesse à interroger les modes de présentation de ses pièces, que ce soit en galerie, musée ou scène de spectacle.

L’option retenue est d’éclairer les salles à partir des verrières et des fenêtres. L’espace est alimenté par une lumière naturelle. La perception des œuvres est différente en fonction des heures du lever et de coucher du soleil. Elle s’adapte au passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été. Avec sa pulsation particulière ce cocon a le rythme et la régularité d’une éphéméride, la précision d’un angélus. Comme les boîtes à Coucou de  l’artiste, les sculptures sont frappées par chaque heure de la journée.

Ailerons et nageoires déployées, le tueur des mers ressemble à la mise en équation d’un problème. Tel un processus en action, il se déploie dans une radiographie qui l’ausculte et le montre sous tous les angles. Cet électrocardiogramme délivre un filet d’information qui sonde les murs et les plafonds et fait le point sur le flanc profilé et réfléchissant du prédateur.
Contrairement à Damien Hirst, le cétacé n’est pas plongé dans le formol, ni prisonnier d’une cage de verre. Juché sur son amarre, il semble suspendu, comme arrêté dans sa course. Son assise aérodynamique l’anime de la gueule à la queue.

Mais le monstre métallique, empaillé à la limaille de fer, cicatrisé au chalumeau, usiné à la presse hydraulique est tel l’albatros de Baudelaire, penaud et lourdaud. Posé sur son ancre, il prend le contrôle de la pièce et se laisse enfermer dans ce zoo blanc. Son corps en lévitation ne perd rien de sa superbe ni de sa puissance. Par contre il ne fait pas peur et les enfants se précipitent pour le toucher, le regarder attentivement. Les adultes dégainent tous leurs téléphones portables pour se photographier devant la bête.

L’objet biseauté est aussi furtif que voyant. Le Rhino était rouge résine, le shark est aussi brillant que le Surfeur d’argent. Brillant et clinquant, il se laisse oublier pour se parer de la couleur des murs. Sa peau s’orne d’un blanc gris qui le rend discret. Il devient invisible, il se confond avec son milieu, il se montre et se dérobe à la vue, tel le Predator.

S’approcher du monstre au design furtif nous renvoie à notre propre image. Comme les armoires à pharmacie ouvertes des salles de bain, il fragmente le spectateur. La sculpture avec sa peau en écaille, furtif et cubiste à la fois, se donne à voir dans une multiplicité de vues. Passer devant le flanc de cette galerie des glaces revient à faire le travelling de son corps.
L’expérience est autant visuelle que parcellaire. Notre portrait se casse, se brise, se déforme. Les vues se succèdent : faces, plongées, contre plongées. L’approche devient plus intime avec l’armoire à glace. Une deuxième rencontre est possible. Un autre espace s’improvise. S’ouvre au regardeur curieux, au flâneur une autre aventure. Le kaléidoscope explosant fixe, fragmente et punaise sur sa coquille le regard des spectateurs.

Hergé dans le Trésor de Rackham le Rouge avait imaginé un bathyscaphe capable de descendre dans les abysses des océans. Ici le requin lorgne plus du côté des formes militaires furtives et du Tuning automobile. Customisé comme un téléphone portable à édition limitée, profilé comme une frégate furtive côtière, cette nouvelle création enrichi le bestiaire de l’artiste déjà composé d’un rhinocéros rouge et d’un lion noir.

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