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Expérience Pommery #4. L’Emprise du lieu

Les champagnes Pommery mettent à disposition des artistes leurs extraordinaires caves. Invités par Daniel Buren, une petite quarantaine d’artistes contemporains ont relevé le défi de s’approprier les lieux pour y installer leurs œuvres.

Information

Daniel Buren
Expérience Pommery #4. L’Emprise du lieu

Ce hors-série de Beaux-Arts Magazine est publié à l’occasion de l’exposition «Expérience Pommery #4. L’Emprise du lieu», au Domaine Pommery, du 28 mars au 15 novembre 2007.

«Lettre aux artistes» de Daniel Buren

«Je suis heureux de vous inviter à une exposition que j’organise et qui doit s’ouvrir en mars 2007. Cette exposition s’intitule «L’Emprise du lieu». Je dois dire, avant toute chose, que le choix des artistes — pour limité et arbitraire qu’on puisse le trouver et en dehors de correspondre également à des critères qui me sont propres — dépend en grande partie du lieu d’accueil. C’est ce dernier qui, en priorité, induit les choix. C’est le lieu qui suggère à l’organisateur l’invitation des artistes ici sollicités. Bien sûr, les choix proviennent de mon interprétation propres des travaux en question et de ma capacité — forcément suggestive — à anticiper la réponse de ceux qui pourraient réagir à de tels lieux et ceux qui ne le pourraient pas.

Vous avez déjà deviné que les lieux offerts ne sont pas banals. ils se décomposent en trois parties, forts différentes les unes des autres, très proches en termes de distance, mais à des niveaux différents. En effet, à l’extérieur, nous avons, entourées par une architecture de la fin du XIXe siècle, très visible et de style kitsch élisabéthain, de grandes pelouses s’étendant les unes derrières les autres sur un long plan incliné. Elles nous mènent dans une deuxième partie, intérieure celle-ci, sorte de grand hall, surmonté par une verrière posée sur une structure métallique de style «Eiffel». Cet espace est dédié ponctuellement à de grandes réceptions et encombré sur sa périphérie par un énorme tonneau — le Foudre d’Emile Gallé — et quatre autres de taille moyenne, un bar de dégustation et quelques panneaux et sièges multiples. Ce hall, afin d’être utilisable sans trop de peine, sera partiellement transformé par mes soins, de façon à être plus calme et à ôter de la vue certains éléments qui le décorent.

Enfin, la troisième partie, je dois dire la plus extraordinaire et aussi la plus difficile, parce que la moins «docile», se trouve être une partie des caves elles-mêmes, gigantesques labyrinthe à plus de trente mètres sous le sol, dans lesquelles on accède par une escalier monumental d’une seule volée, directement creusée dans la craie. Ces caves, énormes crayères, ressemblent aux carrefours formés par la jonction des différentes galeries, aux tours de cathédrales et s’élèvent à plus de trente mètres de hauteur laissant apparaître, loin des yeux et à leur sommet, un peu de la lumière du ciel. Ces galeries souterraines s’étendent sur une vingtaine de kilomètres et les champagne Pommery mettent exactement un kilomètre à notre disposition.

Je dois ajouter que toutes ces caves sont en pleine exploitation et que les œuvres exposées, qui seront vues par le public, cohabiteront avec l’atmosphère générale de cette activité très particulière. En d’autres termes, même si le kilomètre mis à votre disposition est bien réservé en priorité à l’exposition, vous ne présentez pas vos œuvres dans un lieu extraordinaire et désaffecté mais bien dans un lieu à la fois chargé d’histoire et en pleine activité. Bruit des trains de chariots résonnant au lointain, bruit des bouteilles attendant soit d’être tournées, soit d’être vendues, jusqu’à des bas reliefs creusés dans la craie et datant du XIXe siècle.

J’espère que cette invitation, dans ces lieux à la fois difficiles et peu banals, retiendra votre attention et qu’elle permettra à votre sagacité de les transformer, de les dompter à votre mesure et de nous surprendre ; c’est en tout cas, en vous invitant, mon désir le plus cher.»

L’auteur
Daniel Buren, né en 1938, est un artiste français.