ART | CRITIQUE

Dix-7 en Zéro-7

PJudith Bacon
@01 Août 2008

Les étudiants félicités de l’École des Beaux Arts de Paris utilisent tous les médiums à contre-courant : de la photographie tridimensionnelle ou cinématographique à la vidéo- performance littéraire en passant par la sculpture de paysage, douze regards explorent des zones cachées ou refoulées du monde.

Laurent Busine, commissaire de l’exposition «Dix-sept en zéro sept» et Directeur du Musée du Grand Hornu en Belgique n’a pas seulement découvert des artistes très prometteurs derrière les étudiants de l’École des Beaux Arts de Paris félicités en 2007 ; il a aussi réuni des observateurs un peu fous de champs d’investigation inédits.

Grâce à une scénographie de l’immersion, le visiteur pénètre en spéléologue douze mondes décalés dans la galerie du Quai Malaquais. Du hall d’entrée très éclairé au fond plus tamisé, on passe de territoires publics et impersonnels — les installations sculpturales de Jean-François Leroy et Alexandre Oudin — à des domaines privés et intérieurs — les photographies familiales de Juliette Delaporte et la tente cosmogonique de Benoît Piéron.

Entre ces deux pôles, se tiennent quatre pièces secrètes en forme de cabinets de curiosité. La vidéo de Claire Glorieux sur des jumeaux autistes, l’installation multimédia d’Anne Le Hénaff sur des hommes et des femmes retraités, la chambre des merveilles de Valentin, le cimetière des oiseaux de Jean-Baptiste Calistru sont autant de boîtes à mystères déjouant les tabous de notre société.

Et du public à l’intime, la préoccupation est la même: faire vaciller les limites du regard et découvrir des mondes insoupçonnés. Comme Jean-François Leroy qui invente une drôle de composition mobilière: des sculptures composites, toutes nivelées à un mètre cinquante du sol, jonchent le hall. Chacun de ces Objets-béquilles est un entrelacement étrange de deux parties distinctes: la Table est faite d’une planche de bois posée à la verticale dans un réceptacle de verre, la Moquette se retourne comme un chiffon sur un tube de métal.

Qui soutient l’autre, qui orne l’autre ? Les fonctions sont détournées pour une sculpture au-delà des genres. Alexandre Oudin utilise, lui, les objets de l’ordinaire pour bousculer les termes de la représentation. La photographie d’une chaise à l’échelle 1/1 devient plastique et tridimensionnelle en se pliant sur une chaise réelle. Drôle d’illusion d’optique, de faux trompe-l’œil qui s’affirme comme tel.
Les deux étudiants altèrent notre mode de perception de matériaux et d’ustensiles dits triviaux : sous l’apparence du banal se découvre l’extraordinaire de mondes en trois dimensions.

D’autres univers, plus confinés, se dévoilent le long des quatre pièces en enfilade, avec toujours ce souci de porter un regard inédit sur des pans peu explorés ou «mal vus» du monde.

Dans sa vidéo Jardins d’hiver, Anne Le Hénaff accorde du temps à ceux qui n’en ont plus: l’artiste a suivi le quotidien lent et mesuré de pensionnaires d’une résidence pour personnes âgées. Le plus souvent le visage est hors champ. Les gestes réglés des résidents agitent à peine les plans longs et fixes de ces espaces réduits. Le silence ambiant se fait un peu morbide lorsque des silhouettes en transparence évoquent des fantômes.
Mais jamais la caméra exploratrice ne sombre dans le mélodrame. Au détour d’une conversation, on capte des paroles pleines d’autodérision et d’une âpre lucidité : «Je suis statistiquement mort.», clame un homme qui, quelques minutes auparavant, nous parlait de l’engouement actuel pour les Sudoku.

Claire Glorieux pointe également sa caméra sur des individus décalés : Voir la pulpe analyse le comportement répétitif de jumeaux autistes. Une poésie de l’absurde émane de leurs actions vaines, comme celle de tailler des crayons ou de découper en miettes une mappemonde.

D’une autre manière, Jean-Baptiste Akim Calistru, moitié ermite, moitié artiste, s’intéresse également à ce que délaisse le spectacle médiatisé du monde. Lorsqu’il se retire en pleine campagne, pour de longs séjours, au lieu-dit «La Lande», il veille sur les oiseaux, sur leur vie et surtout sur leur mort : de ces pérégrinations en solitaire, il tire des boîtes à jeux et autant d’enterrements d’oiseaux.
Ces petits cercueils en bois, plus petits que des boîtes à chaussures, sont réalisés avec une grande minutie. On y découvre un petit fossoyeur de plomb, sa pioche, un oiseau de plomb gisant sur de la terre, et des larmes, précise la notice des pièces. Ces petits trophées ludiques exaltent une perception entre science et poésie.

Les artistes de «Dix-sept en zéro sept» explorent ainsi des moments faibles, anti-spectaculaires. Ces expériences intimes, loin d’être complaisantes, nous font sentir le passage du temps.

Ce dernier s’étire dans les grandes photographies couleur de la série La Maison d’un règne de Juliette Delaporte. L’artiste a mené une enquête domestique au cœur du château familial où elle a passé son enfance et son adolescence.
Les membres de sa famille sont représentés au cœur de leur territoire respectif. Dans sa chambre à coucher, une femme est engloutie par les sables mouvants d’une immense couette jaune et noire. Ailleurs sa petite tête qui dépasse d’un grand meuble blanc semble posée comme celle de Jean-Baptiste sur le plateau sacrilège.
Dans ces mises en scènes, à la limite du documentaire et de la fiction, des personnages antonioniens affleurent. Seuls et silencieux, ils errent dans une demeure intemporelle, absolument coupée du monde extérieur et de son actualité. Le fantastique surgit lorsqu’une interminable poutre se pose sur le bras tendu et horizontal d’une frêle jeune fille pour délimiter la façade de la maison.

La vidéo aux couleurs usées La Cérémonie de ancêtres nous parle également du passage du temps en confrontant au cœur de l’image le passé et le futur : les parents et la fille entourent un drôle de gâteau d’anniversaire sur lequel trônent les ancêtres de la famille, sous forme de figurines en noir et blanc.
Cette performance familiale se moque de la pénible épreuve du soufflage de bougies : toujours les rallumer, les souffler, et parvenir à sourire à l’instant où les flashs se déclenchent. Ces actions se répètent inlassablement ; le père finit par râler, la mère, étonnante de statisme retient son souffle et la sœur s’esclaffe. Une fois les bougies éteintes, les ancêtres, témoins impassibles règnent à jamais dans l’imaginaire familial.

Ce micro événement filmé attire notre attention sur la charge nostalgique et mortifère de la fête d’anniversaire. Avec humour, poésie et décalage, les pièces de «Dix-sept en zéro-sept» nous font voir ainsi ce que l’on a tendance à négliger.

Finalement l’exposition réussit le pari de ne pas céder à certains effets de mode qui privilégient le sensationnel.  «Dix-sept en zéro-sept» engage une lutte subtile contre l’esbroufe et le spectaculaire.

Publications

Dix-7 en Zéro-7, catalogue de l’exposition des diplômés de L’ École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris avec les félicitations du jury, éd. Beaux-arts de Paris, Paris, 2008.

Bertille Bak
— Faire le mur, 2008. Vidéo.
— Tapisserie, 2008. 90 x 130 cm.

Guillaume Bresson
— Sans titre, 2008. Huile sur toile. 170 x 300 cm.

Juliette Delaporte
Série : La Maison d’un règne
— Sans titre (poutre), 2007. Tirage numérique. 100 x 155 cm.
— Sans titre(couple), 2007. Tirage numérique. 120 x 80 cm.
— Sans titre (tête), 2005. Tirage lambda. 90 X 90 cm.
— À l’envers du sommeil 1 et 2, 2005. 2 tirages numériques. 90 X 90 cm.
— Sans titre (lit jaune), 2005. Tirage lambda. 90 X 90 cm.

Série : La Cérémonie des ancêtres
— La Cérémonie des ancêtres, 2003. VHS-C transférée sur DVD. 2 min.
— La Cérémonie des ancêtres, 2003. Tirage argentique. 50 x 60 cm.

Jean-Baptiste Akim Calistru
— Enterrrement des oiseaux, 2008. 7 boîtes à jeux, bois, plomb, larmes, terre, encaustique. Dimensions variables.
— Troglodyte, 2007. Tentative de réanimation d’un oiseau accidenté et vidéographie, DVD. 60 min.
— Enterrement des oiseaux, 18/12/07. Action, page de carnet, voie communale 216. 10 X 14 cm.
— (Le) Cercueil, 2007. Installation d’objets et étude pour une action. 203 x 57 x 36 cm.
— Enterrement du monde, 2007. Boîte à jeux, bois, plomb, larmes, terre, encaustique. Dimensions variables.
— Le Trou, 2007. Terre encaustique. Toile d’araignée. 20 x 12 cm.
— Enterrement de la nuit, 2008. Boîte à jeux, bois, plomb, larmes, terre encaustique. Dimensions variables.

Grégory Derenne
— Sans titre, 2007. Acrylique sur coton noir non enduit. 200 x 270 cm.

Michäel Jourdet
— Allaryd n°42, 2008. Acrylique sur toile, 89 X 116 cm. Réalisation en collaboration avec Hélène Lefebvre.
— Allaryd n°63, 2008. Acrylique sur toile, 75 X 75 cm. Réalisation en collaboration avec Anna Lisa Cocozza.
— Allaryd n°87, 2008. Acrylique sur toile, 92 X 60 cm. Réalisation en collaboration avec Hélène Lefebvre.
— Ensemble carré composé de monochromes quadrilatères noirs sur un mur blanc, 2006. Acrylique sur toile. 160 x 160 cm.
— Ça déconsidère l’art moderne, 2005. Vidéo numérique réalisée à partir d’une image unique. 8 min 30 sec.

Claire Glorieux
Voir la pulpe, 2008. Vidéo, beta numérique. 20 min.

Anne Le Hénaff
— Jardins d’hiver, 2006-2007. Vidéo format DV. 16 min.
— Les Beautés du Val d’Ajol, 2008. Photographies numériques couleur contrecollées sur aluminium. 30 x 40 cm.

Jean-François Leroy
Série : Les Objets-béquilles
— Table, 2008. Demi-table en verre, bois, acrylique. 115 x 45 x 20 cm.
— Moquette, 2008. Tube, carton, moquette, scotch, acier. 200 x 25 cm.
— Rocher, 2008. Polystyrène, béton teinté, faux galets. 115 x 120 x 35 cm.
— Accoudoir, 2008. Bois, peinture, mousse isolation phonique. 115 X 15 X 70 cm.
— Paravent, 2008. Plâtre. Polystyrène. 115 cm x dimensions variables.
— Sans meuble, 2008. Bois, acrylique, 8 plaques. 122 x 190 cm.
— Meuble, bois. Dimensions variables.
— Paravent 2, 2008. Bois acrylique, chaumière. 115 cm x dimensions variables.
— Carton, 2008. Carton de penderie. 115 x 104 x 50 cm.

Alexandre Oudin
— Bureau, 2008. Photographie argentique couleur contrecollée sur papier, table. Dimensions variables.
— Chaise, 2008. Photographie argentique couleur contrecollée sur papier, table. Dimensions variables.
— Montre, Mallette, Escabeau et Lunettes, 2007. 4 photographies argentiques couleur montées sur châssis. 245 x 115 cm chacune.

Benoît Piéron
— Chaussons, 2008. Laine feutrée au savon, textile appliqué, dômes du silence. 28 x 13 x 29 cm.
— Savon Taïno de Marseille, 2008. Savon à la glycérine sculpté sous la douche. 11 x 25 x 6 cm.
— Cuillère téton/tranchant, 2008. Bois polychrome, os de seiche vitrifié. 4 x 31 x 6,5 cm.
— Tapis de sol, 2008. Marqueterie de pais de sol, bords festonnés. 1,6 x 50 x 178, 5 cm.
— Hamac de tête, 2008. Bois peint, tissus appliqué inversés. 25 x 40 x 19,5 cm
— Sculpture molotov, 2008. Céramique émaillée, essence, huile, engrais, époxy, tissu. 12,5 x 6 x 6,5 cm.
— Mégaphone, 2008. Céramique émaillée, courroie. 47 x 39 X 13 cm.
— Boussole de désorientation, 2008. Mécanisme d’horloge, craie. 18 x 18 x 5,5 cm.
— Baratte, 2008. Acier peint, céramique émaillée, sangles, cordelette, poulie. 60 x 36 x 45 cm.
— Baluchon et épaulière, 2008. Acier, poignée, œillets, patchwork, résine gainée de cuir, sangles. Dimensions variables.
— Bâton de la nativité, 2008. Sapin de Noël ciré, gravé de motifs de scolytes sténographes, pommeau en céramique émaillée, bougie. 204 x 30 x 8 cm.

Valentin
La Chambre des merveilles, 2008. Impressions sur papier photo découpées et contrecollées, étagères et plateaux en bois peints, système mécanique, moteur et aimants. Dimensions variables.

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