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Distances ?

PSandra Vanbremeersch
@12 Jan 2008

Univers à la fois poétique et rude de trois générations d’artistes polonais : la génération qui a uniquement connu le communisme, celle qui a vécu le passage au capitalisme, et celle qui en est issu.

 » Distances ?  » nous plonge dans un univers à la fois poétique et rude d’œuvres de trois générations d’artistes polonais. La génération qui a uniquement connu le communisme, celle qui a vécu le passage au capitalisme, et celle qui en est issu. Cette mémoire est-elle collective ? Relève-t-elle de l’histoire ou également de celui qui nous la dépeint ? Qu’en est-il de celui qui la lit ?

Une peinture de Andrzej Wroblewski ouvre l’exposition par une scène à la fois violente et pleine de poésie : un homme, de face, est fusillé. On devine à sa droite son  » fantôme « , personnage bleu pris dans un mouvement de chute. Nous sommes témoins et acteurs d’un contraste qui dépasse la représentation : à chaque état suit un mouvement (de la mort à la chute ou à l’évanescence, de la fin de quelque chose à l’accès vers quelque chose d’autre). Cet écart entre deux états serait cette distance entre deux choses que chacun vit de façon singulière. Ce pourquoi  » Distances ?  » s’écrit au pluriel et à la forme interrogative.

Certains artistes abordent cette distance en inscrivant littéralement leur œuvre dans l’espace du Plateau. Dans son installation, Léon Tarasewicz a rehaussé le sol d’une salle à l’aide d’un léger échafaudage d’escaliers en bois. Le sol est couvert de peinture épaisse aux couleurs vives, jetée avec des gestuelle qui évoque le All Painting autant que la tradition en vigueur dans certaines régions de Pologne où les maisons sont peintes de façon toute personnelle par leurs propriétaires. L’écart entre un mouvement de l’histoire de l’art et la continuité d’une tradition s’exprime dans cette installation in situ.

Également très physique, parce qu’elle joue sur la disproportion d’échelle, l’œuvre de Elzbieta Jablonska traduit le paradoxe de la consommation, qui oppose l’usage et l’image d’une chose. Largement déployée dans une vaste salle, une cuisine géante est reconstituée par divers éléments : une vidéo montrant une personne de dos s’affairant à la cuisine, une table géante sur laquelle sont disposés des tee-shirts imprimés, et un plan de travail géant sur lequel sont amassés divers produits polonais et allemands, verres, assiettes, etc. Sur la porte de ce plan de travail est projetée une vidéo. La consommation de masse semble possible mais démesurée face à la consommation quotidienne de chacun, ce que l’artiste exprime en des termes quasi publicitaires (tee-shirts imprimés, moniteur de démonstration) et poétiques (rêves ou contes d’enfant où le héros est pris dans un  » monde trop grand « ).

L’écart entre deux mondes se retrouve chez Monika Sosnowska qui couvre de peinture l’intérieur des vitrines du Plateau. De l’extérieur, elles sont devenues opaques, avec des dessins géométriques aux couleurs de la Pologne. De l’intérieur, ces lignes laissent apparaître les traces, coulures et salissures de la peinture. Le côté interne de la vitrine dévoile une pauvreté de la réalisation qui n’apparaît pas du dehors. L’artiste s’est inspirée des vitrines de supermarchés en Pologne. Véritable mur entre le monde extérieur et le monde intérieur de la consommation quotidienne.

L’artiste Jadwiga Sawicka travaille cette distance entre une culture locale et la culture importée dans ses affiches déchirées qui mêlent le texte à l’image. Du sol au plafond des bandes superposées déclinent des textes de séries télévisées en polonais et en français. Elles sont déchirées de sorte que l’une fasse apparaître l’autre. À deux endroits, des lambeaux d’affichent font s’entrecroiser deux écritures, celle des mass média et celle du quotidien : voix de l’image et voix de l’usage.

En peinture, les icônes religieuses ou nationales opposent aussi un monde de tradition et un monde en devenir. L’impressionnant tableau de Jaroslaw Modzelewski figure une bonne sœur en train d’éteindre un cierge géant à côté d’un bloc gris : contradiction des styles, des échelles et du symbôle.
Les trois oeuvres alignées de Marcin Maciejowski rappellent les peintures de propagande. L’aspect national et traditionnel transparaît des titres au bord de l’absurde (Dieu est en colère, Dans notre famille nous respectons les personnes et les animaux). Les couleurs vives et contrastées laissent apparaître les coups du pinceau d’où jaillit une figure noyée dans la matière. Toutefois, l’ironie se mêle au langage pictural.

Plus grinçante, l’installation de Robert Kusmirowski vient troubler notre rapport à l’histoire. De façon quasi pédagogique, sont déclinés sous verre, en sculpture, en inscription murale, et sur une table, des documents concernant les années 1930 en Pologne.
Un alignement mural de cartes de visite fait face à une table sur laquelle sont disposés deux diplômes d’État identiques. Un texte inscrit à même le mur et à peine lisible semble commenter quelque affaire, une icône encadrée de bougeoirs, au sol une tombe rendant hommage à on ne sait qui… Mais on constate vite que tous ces éléments qui parlent à la mémoire historique et sensible sont des faux. Fausses cartes retravaillées au bic et crayon, faux langage inscrit, tombe en plâtre peint, et diplôme falsifié en face de l’authentique… Cette rigoureuse organisation du factice trouble la mémoire collective. L’art et le langage, médiateurs de mémoire, mêlent le réel à l’artificiel, l’Histoire à l’anecdote (construire de fausses existences), le sérieux à l’absurde, ou la langue à la poésie (avec cette langue imaginaire).

Passer d’un état à un autre, d’un monde à l’autre, d’une échelle à une autre, d’une petite histoire de faux à un grand témoignage, etc., autant de façons de dire un monde en acte et en devenir. C’est tout l’exercice démonstratif et humble de  » Distances ? « .

Agata Bogacka :
— Je saigne, 2003. Acrylique sur toile. 170 x 114 cm.
— Interaction, 2002. Acrylique sur toile. 146 x 114 cm.
— Loup (Kobas est un loup), 2002. Acrylique sur toile. 120 x 120 cm.
— Peinture avec un trou, 2004. Acrylique sur toile. 146 x 114 cm.
Elzbieta Jablonska :
— Cuisine, 2004. Installation et performance.
— Du ventre au cœur, 2004. Vidéo.
Robert Kusmirowski :
— Vignettes, 2004.
Dominik Lejman :
— New York Marathon, 2004. Acrylique et émulsion photosensible sur toile, vidéoprojection.
— Skating (Rockefeller Centre), 2003-2004. Vidéo support DVD.
Marcin Maciejowski :
— Protesting for their Outstanding Payment Before the House of the Company President, 2003. Huile sur toile. 170 x 175 cm.
— Operator, 2002. Huile sur toile. 120 x 120 cm.
— Dieu est en colère, 2001. Huile sur toile.
— Dans notre famille nous respectons les personnes et les animaux, 2001.
Jaroslaw Modzelewski :
— Face à l’autel, 2000. Tempura. 180 x 230 cm.
— Putting out the Puschal, 2000. Tempura, 180 x 230 cm.
— La maison inachevée VIII, 2000. 180 x 230 cm.
Jadwiga Sawicka:
— Faux amis, 2004. Affiches.
Monika Sosnowska
— Sans titre, 2004. Peinture à l’huile.
Leon Tarasewicz :
— Sans titre, 2004. Structure en bois, plâtre, peinture. 1000 x 500 cm.
Andrzej Wroblewski :
— Fusillade des otages, 1949. Huile sur toile. 128 x 200 cm.
— Fusillade sur le mur, 1949. Huile sur toile. 120 x 90 cm.

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