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Digression à la frontière. Œuvres du Frac Lorraine

La collection du Frac Lorraine : présentation des œuvres acquises accompagnées d’un texte sur le travail de l’artiste et rappel des actions hors-les-murs et in situ soutenues par l’institution.

— Auteurs : Catherine Jacquat, Bernd Schulz, Céleste Boursier-Mougenot, Corinne Charpentier, Michel Gauthier, Béatrice Josse, François Piron, Maï;te Vissault
— Éditeurs : Frac Lorraine, Metz / Stadtgalerie Saarbrücken, Saarbrück
— Année : 2002
— Format : 24 x 21 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 95
— Langues : français, allemand
— ISBN : 3-932183-29-0
— Prix : non précisé

Le Frac Lorraine : histoire et perspective
par Catherine Jacquat

Structures hybrides et singulières dans le paysage institutionnel de l’art contemporain en Europe, les Fonds régionaux d’art contemporain nourrissent depuis leur création en 1982 un questionnement toujours renouvelé sur leur avenir. Tous destinés à accomplir de nombreuses missions (soutien à la création, formation des publics, complémentarité avec les structures culturelles existantes,… ) les Frac ont néanmoins dessiné progressivement leurs personnalités, selon leur contexte particulier et les figures de leurs responsables.

18 ans après sa constitution, le Fonds régional d’art contemporain de Lorraine reflète ce questionnement et cette diversité de missions. La perspective de son installation dans des locaux d’exposition et d’accueil du public a pu enfin se rapprocher significativement, avec la prochaine réhabilitation de l’Hôtel Saint-Livier, édifice médiéval situé au cœur historique de Metz.

C’est la première définition du Frac, envisagé avant tout comme outil et ressource complémentaire d’un tissu de diffusion existant, qui a présidé aux dix premières années du Fonds lorrain. La collection s’est constituée dans les années 1980 selon une distinction entre Å“uvres photographiques et Å“uvres dites plastiques, les premières devant former la collection d’un Centre photographique, les secondes étant conservées par le Musée départemental d’art ancien et contemporain des Vosges à Saint-Dié. Cette première époque a notamment favorisé la présence conjointe d’un fonds photographique important (Copland, Faigenbaum, Burkharcl, Struth…) et de pièces plus muséales (Buren, Toroni, Frank Stella, Robert Morris…). En outre, la volonté de soutenir la création française et plus particulièrement régionale a conditionné l’acquisition, à la même époque, de nombreux artistes travaillant en région (Gadenne, Bertholin, Pressager…) avec une forte représentation de la peinture.

Si de nombreux Frac ont rapidement revendiqué une autonomie et une définition entendue au-delà de la simple complémentarité aux structures de diffusion, le Frac Lorraine ne s’est configuré que tardivement en tant qu’institution : la nomination de l’actuelle directrice, Béatrice Josse, en 1993, et la progressive mise en place d’une équipe permanente a permis la redéfinition du Frac au-delà de la seule constitution d’une collection, et donc la mise en œuvre d’un projet artistique autonome, qui permettait de mener à bien les missions de diffusion régionale et de sensibilisation.

Parallèlement, le comité technique du Frac était renouvelé en 1992, avec notamment l’arrivée en son sein de Jean-Hubert Martin et de Michel Gauthier. Dès lors, la collection s’est enrichie, dans la mesure d’un budget relativement modeste, de nombreuses Å“uvres qui venaient rééquilibrer les tendances de la première époque : Å“uvres en volume (Basserode, Thomas Huber, Wim Delvoye, Pascal Convert…), Å“uvres en extérieur (Tania Mouraud, Thomas Hirschhorn, Jan Fabre), Å“uvres vidéos (Philippe Parreno, Douglas Gordon, Pierre Bismuth…). L’héritage conceptuel et minimal est par ailleurs assez largement représenté dans les dernières acquisitions : Claude Rutault, Elisabeth Ballet, Didier Vermeiren, Karin Sander, Ann-Veronica janssens. Si les Å“uvres de très jeunes artistes sont régulièrement acquises (Mathieu Mercier, Nicolas Floch), le comité dorénavant constitué de Chris Dercon, Michel Ritter et Didier Semin favorise néanmoins la représentation de certaines figures féminines historiques dans la collection : Gina Pane, Marina Abramovic, Annette Messager, Meret Oppenheim.

Il est indéniable que la collection constitue pour le Frac Lorraine comme pour ses homologues, la pierre d’achoppement de son activité et de son existence. Elle est aussi le reflet d’une volonté et d’une histoire largement conditionnée par des données d’aménagement culturel du territoire, et des nécessités de diffusion qui régissent une part importante de son action. Région relativement pauvre en espace de diffusion, la Lorraine ne s’étant dotée d’un centre d’art que tardivement (Synagogue de Delme, 1996), il était souhaitable que la collection renonce à une spécialisation trop affirmée et puisse témoigner de la richesse de l’art contemporain, entendu dans sa plus grande diversité.

L’acquisition d’œuvres pour la collection constitue certainement l’aide la plus directe aux artistes et à la création. Néanmoins, les caractéristiques communes aux œuvres d’une collection — mobilité et conservation — neutralisent d’emblée le rapport vivant des œuvres à leur contexte d’émergence. Afin de restaurer ce rapport vivant, et de permettre au public un accès direct aux œuvres, le Frac de Lorraine a développé depuis 1994 une politique active en matière de production. Depuis 1994, trente artistes ont été invités en résidence : femmes-artistes dans des lieux de guerre (territoires occupés, 1995), réactivation d’un patrimoine rural (architecture et nature, 1994), interventions d’artistes dans les espaces publics (actions urbaines, 1996-1997), et enfin les interventions de Tadashi Kawamata et Krijn de Koning sur les deux sites de l’Hôtel Saint-Livier à Metz et la Synagogue de Delme. Ni centre d’art, ni musée, le Frac de Lorraine place au cœur de son action la pluralité des modes d’intervention qui ont régi son développement.

Dans la perspective de la prochaine installation du Frac à l’Hôtel Saint-Livier, espace exceptionnel de par sa situation et son histoire, il apparaît fondamental d’affirmer cette singularité : structure souple attachée aux collaborations qu’elle instaure avec ses partenaires, institution citadine œuvrant dans les zones rurales, lieu de conservation, de diffusion, de formation des publics, le Frac entend demeurer avant tout un espace vivant de dialogue, d’enrichissement et de création.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Frac Lorraine)

L’auteur
Catherine Jacquat est présidente du Frac Lorraine.