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Décomplexés

07 Mai - 03 Juil 2004

Trois artistes décomplexés via à via des tendances de l’histoire de l’art. Le manièrisme est démodé? Forstner emprunte ses formes et les associe à l’expressionnisme des années 80. L’ allemand Bisky, à travers un réalisme idéalisé, fait référence aux codes de l’art totalitaire. Black travaille le portrait selon Giacometti et Cézanne. Des œuvres parfois ironiques, souvent critiques, aux allures académiques.

Décomplexés
Dans le cadre de l’exposition «décomplexés» la galerie Jocelyn Wolff montre trois positions en peinture, originaires de France et d’Allemagne, dont le point commun est l’insouciance dans le traitement des iconographies, des styles et esthétiques historiques qui sont aujourd’hui généralement perçus comme démodés, politiquement incorrects, voire anachroniques.
Le maniérisme et l’expressionnisme des années 80 chez Forstner, un réalisme idéalisé faisant référence aux codes de l’art totalitaire chez Bisky, le travail du portrait selon Giacometti et Cézanne chez Black : en reprenant ces langages picturaux historiques et surcodés et en les reflétant à nouveau dans le sens d’une figuration conceptuelle, se crée une rencontre entre trois artistes très différents et issus de la plus jeune génération, dans une compréhension mutuelle d’une peinture qui ignore les complexes ayant limité l’accès à la peinture en France depuis les années 60.

Norbert Bisky et Steven Black présenteront à cette occasion leur travail en France pour la première fois.

La peinture figurative contemporaine comme sismographe de la société (extraits) par Andrea Weisbrod et Jens E. Sennewald

Les œuvres de Norbert Bisky, né en 1970, ont suscité beaucoup d’attention récemment. Élève privilégié de Georg Baselitz, il a grandi à Leipzig et a scandalisé les critiques d’art, particulièrement en Allemagne, avec les corps athlétiques de jeunes hommes blonds aux yeux bleus ou des titres d’expositions provocateurs, tel «nous allons être vainqueurs». Mais un regard attentif révèle la distance ironique dont témoignent les tableaux de Bisky, face à la peinture Totalitaire. Bisky se met à déconstruire ces langages picturaux, «les ordures iconographiques des dictatures» selon lui. «Quand l’art est utilisé à des fins publicitaires, soit lessive soit communisme, il se fait maltraiter. Lorsque ces fins disparaissent, l’art reste. Et je veux de nouveau soustraire certaines Choses à la publicité.» Les figures de Bisky, souvent enlacés de manière ornementale, ont l’air de clones. Ils dénoncent l’égalitarisme iconographique d’une «société d’individus». Bisky avait renoncé à participer à une exposition sur le portrait, car il peint «des imaginations, et non pas la réalité». Il s’occupe de figurations imaginatives, et il essaie par leur répétition en peinture de regagner l’individualité authentique. On peut remarquer, particulièrement à l’endroit où s’ébauchent les cheveux de ses personnages, la présence de zones laissées vierges dans le tableau, et que ce sont les omissions qui rythment les tableaux. Ainsi apparaît la relation ambivalente entre singularité et solitude: l’individu, nous racontent les tableaux de Bisky, ne vit qu’à travers son absence dans le tableau, sa trace est une zone vide.

Traces, effacements et zones laissées vierges comme leitmotivs caractérisent également les compositions de Steven Black. Les corps apparaissent dans ses tableaux comme possibilité. Les personnages de Bisky sont pour la plupart seuls, regardent devant eux et semblent avoir perdu tout appui lié au point de fuite et à la perspective. Dans un espace pictural généralement vide, les personnages ne sont protégés que par la peinture qui les enveloppe d’auréoles de couleurs estompées.
Chaque tableau donne l’impression d’une course d’essai pour la vie, sans qu’il ne puisse jamais vraiment la représenter. Dans les lignes de fuite, les zones inachevées et brutes, et dans les citations picturales (Francis Bacon ou Alberto Giacometti), la peinture se manifeste elle-même comme une pratique. Autant les zones du tableau laissées vierges chez Bisky représentent sous forme de stéréotype le point de fuite pour l’individu à reconquérir, autant Black, en rapport avec la surface évacuée, sculpte des personnages, des masques du singulier. À l’endroit où, dans ses tableaux, la surface se transforme en relief, tel un corps coloré, le souvenir de soi devient possible.

La peinture de Gregory Forstner, âgé de vingt-huit ans, procède de manière similaire, bien qu’elle soit encore plus orientée vers l’histoire. Forstner renoue avec le dialogue de l’art sur l’art. En commençant par la discussion picturale d’Edouard Manet avec Vélasquez, jusqu’aux dessins de Willem de Kooning, inspirés par Jean-Dominique Ingres, la tradition se poursuit à travers la peinture et abstraite et figurative. Forstner se confronte aux grandes figures de l’histoire de l’art: les visages de fous aux yeux vides semblent transposés directement des tableaux de Diego Vélasquez dans notre époque et le «gilles» est un hommage à Watteau.
Dans la peinture de Forstner, la ressemblance entre le modèle appartenant à l’histoire de l’art et sa transposition aujourd’hui forme un jeu d’échos, notamment avec la série de portraits pour Richard, hommage à Franz Gerstl (peintre autrichien du début du xxè siècle). Forstner essaie de remodeler cette figure méconnue à partir de sa propre peinture, comme un travail d’enquête sur les traces de l’histoire de l’art. La peinture est son médium de réflexion sur la question de l’individu, son image, du singulier dans le tableau.

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Stéphanie Katz sur cette exposition, en cliquant sur le lien ci-dessous.

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