ART | EXPO

Damiers, Diegos, Monos

14 Mar - 10 Avr 2015
Vernissage le 13 Mar 2015

Les Peintures/écrans de Cécile Bart constituent une sorte de «clavier chromatique» qui met en tension la couleur et le motif par un jeu de renvois, d'enchaînements et de mises en abyme. Arrangées en monochromes, damiers ou «diagonales», les couleurs soulignent ou, au contraire, s'opposent au systématisme des formes.

Cécile Bart
Damiers, Diegos, Monos

Les Peintures/écrans de Cécile Bart sont des passages, des zones où peut s’opérer la rencontre instantanée, le croisement d’éléments mobiles. Ils donnent une commune mesure à ce qui n’en a pas: la membrane du regard, avec son dehors, la géométrie anguleuse du cadre — celui de l’écran comme celui de l’architecture — au contact de l’effet vaporisant de la lumière. Dans ce travail, la perception devient une nouvelle ordination des choses et du monde, s’élaborant dans un flirt, une danse, constamment renouvelée avec le vide, l’air, le «milieu».

Cécile Bart retient de l’enseignement de Paul Cézanne, dans la dramaturgie de la fenêtre, la volonté de «rendre visible l’activité organisatrice du percevoir». L’univers pictural croise ici celui du cinéma, à travers la métaphore de l’écran comme surface d’inscription, de diffraction et de retardement, d’un désir qui n’atteint pas son objet. Qu’ils soient suspendus dans le vide ou fixés aux murs, multipliés ou isolés, les écrans surgissent comme des révélateurs de l’espace environnant qu’ils concentrent et filtrent à la fois, demandant au regard et au corps de constants réajustements.

Les Å“uvres de Cécile Bart jouent aussi de l’effacement de la subjectivité, la peinture étant appliquée de manière mécanique, quand la matérialité sensuelle du tissu travaille comme un épiderme, une sur-peau architecturale Å“uvrant dans les termes de la légèreté, mais aussi de la menace de la dissolution.

Son travail emprunte aussi aux techniques du bâtiment la matité recouvrante, les contours nets et une certaine forme de modularité systématique. Le protocole de production, une toile de tissu Tergal dont la trame est enduite de peinture puis brossée, aérée, avant d’être tendue sur un châssis métallique, bien que répétés à travers le temps, rejouent constamment leurs effets.

Dans cette exposition, ce qui pourrait constituer une sorte de «clavier chromatique» met en tension la couleur et le motif par un jeu de renvois, d’enchaînements et de mises en abyme. Arrangées en monochromes, damiers ou «diagonales», les couleurs soulignent ou, au contraire, s’opposent au systématisme des formes. Les tons sont dérivés ou primaires, harmoniques ou dissonants, durs ou tendres, rapides ou lents, sourd ou sonore, modulés selon l’estompage et l’effet incident de la lumière qui les traverse. Les blancs cassés répondent ainsi ici aux noirs, les roses poudres aux rouges, les verts d’eau aux bleus industrie, les orangés aux violets saturniens.

Si la plupart des Å“uvres de Cécile Bart doivent être vues, de préférence, en lumière naturelle, cette installation assume au contraire pleinement la lumière artificielle, avec les basculements de valeurs chromatiques et l’impossibilité d’induire des variations qu’elle impose. Dans ce jeu répété de mises en abyme, c’est l’unité picturale et l’unité architecturale qui sont à la fois abolies et recréées par l’activité de liaison demandée au regard. L’inframince du tissu translucide communique ainsi avec l’épaisseur des murs et la transparence de la verrière. Lorsque la lumière retombe, les valeurs s’inversent, les tissus absorbent mais ne réfléchissent plus la lumière, laissant la peinture se désigner en aplat, comme couche de revêtement, révélant son pouvoir fixateur. De filtres, ils deviennent «caches».

La taille des châssis, généralement anthropomorphique, implique que soit ressaisie l’expérience purement optique dans la motricité du corps. Le maintien d’un intervalle entre le cadre et le mur inscrit une très légère lévitation. Celle-ci suggère l’impossible coïncidence de l’Å“uvre à son contexte mais désigne aussi la peinture comme une fonction, un organe de respiration.

Ce qui occupe cet intervalle entre le cadre et le mur, et qui permet de construire le contre-champ de la peinture par un jeu d’ombres projetées, est ce que Deleuze appelle «affection». Cet espace de battement s’inscrit comme une pulsation qui déborde la peinture. Par cette opération intercalaire, la «peinture» ne se tient plus que dans son rapport cinématique à un regard qu’elle captive et qui l’anime, la temporalise à son tour, l’invitant à passer «derrière». Etymologiquement, Tergal, renvoie à la «région dorsale», c’est là une métaphore que littéralise l’Å“uvre de Cécile Bart, dans son jeu scopique constamment renouvelé du masque et de l’écran.

Clara Guislain

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