ART | EXPO

Ce matin j’ai assisté à la destruction du monde en spectateur attentif, et puis je me suis remis au travail.

12 Nov - 08 Jan 2012
Vernissage le 10 Nov 2011

Le sentiment d’impuissance résonne alors que des révoltes populaires se multiplient à travers le globe. Comment envisager aujourd’hui les formes possibles d’un engagement politique commun? L’exposition réunit des artistes attentifs aux effets médiatiques d’«invisibilisation» d’une situation collective, historique ou sociale.

Éric Baudelaire, Jeremy Deller, Harun Farocki, Élise Florenty, Hans Haacke, Olivier Menanteau, Frédéric Moser, Philippe Schwinger, Julien Prévieux, Bruno Serralongue, Sean Snyder, Taroop, Glabel, Carey Young, etc.
Ce matin j’ai assisté à la destruction du monde en spectateur attentif, et puis je me suis remis au travail

À l’ère des flux médiatiques et de l’information en temps réel, la production d’images est prise en charge par un nombre croissant de journalistes, reporters, amateurs, et leur diffusion investit une multitude de supports. Cette multiplication d’images documentaires conduit à s’interroger sur la force politique des artistes. Quelle serait aujourd’hui la fonction de l’art comme moyen de représentation? Le titre de l’exposition, «Ce matin j’ai assisté à la destruction du monde en spectateur attentif, et puis je me suis remis au travail», est tiré du Journal de Franz Kafka.

Le sentiment d’impuissance résonne de manière très actuelle alors que des révoltes populaires se multiplient à travers le globe. Comment envisager aujourd’hui les formes possibles d’un engagement politique commun? L’exposition réunit des artistes attentifs aux effets médiatiques d’«invisibilisation» d’une situation collective, historique ou sociale. Leurs démarches visent moins à dénoncer le cadre idéologique de fabrication des images (invisibilité effective ou surexposition) qu’à transformer les dispositifs médiatiques pour en souligner les effets tant politiques, économiques que psychologiques. Alors que le flux d’images favorise un sentiment de déréalisation, les oeuvres présentées montrent des manières de s’inscrire dans le réel grâce à différents outils (photographie, reconstitution historique, enquête de terrain, montage d’images) aux usages détournés.

Le Journal de Kafka met en mots l’articulation fragile entre l’expression d’une subjectivité et son inscription dans le politique à travers une production littéraire qui réfléchit ses propres canaux de transmission. Les artistes de l’exposition proposent, quant à eux, un ensemble de «gestes» artistiques qui expérimentent différentes modalités de relation à l’autre. La définition que donne Giorgio Agamben du geste comme moyen libéré de sa relation à une fin, est ce qui permet selon lui d’ouvrir la possibilité d’un espace politique. À l’aide d’outils qui indexent le réel (photographie, vidéo, ready-made), les artistes s’attachent à délier les images de leur cadre idéologique (capitalisme tardif) et à construire des situations de réception en commun. L’exposition peut-elle être cet espace dialectique, le lieu d’une archive vivante où converge l’attention des spectateurs?

Depuis les années 90, face au déferlement d’images médiatiques qui «recouvrent» l’événement, se déploie une vague d’images documentaires qui, excédant le genre établi, mettent en exergue le conditionnement du regard. Dès les années 70, Hans Haacke dévoile le rattachement des institutions artistiques aux rouages du pouvoir. Mais alors que les oeuvres tendent à s’émanciper du cube blanc pour s’immiscer dans la vie quotidienne, cette forme de critique institutionnelle est relayée par une critique plus générale des médias et conduit les artistes à s’interroger sur leur rôle social. Tandis que certains décident d’abandonner l’art, d’autres se tournent vers le militantisme politique, leurs oeuvres devenant des instruments au service d’une cause. Une troisième voie consiste à mettre en doute la transparence du langage et à travailler à partir de la polysémie des images. Dans l’exposition, les artistes ajustent leurs positions, préférant naviguer «sur et sous la communication» (Jean-Luc Godard).

Certains interviennent en amont de la production de l’information pour produire des images alternatives, alors que d’autres s’attaquent aux organes de diffusion comme la presse ou la télévision en en perturbant les logiques narratives. Sérieuses, humoristiques, ou cultivant l’ambiguïté, les oeuvres tissent des liens entre des expériences individuelles et collectives et se présentent comme autant de formulations singulières susceptibles de traduire poétiquement des questions politiques. Parce qu’elles se donnent à voir dans un mouvement permanent oscillant entre le sens qu’elles renferment et l’interprétation qu’elles ouvrent, elles troublent le savoir des spectateurs et l’amènent à s’interroger sur la possibilité d’un «voir ensemble».

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