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Bellevue

La sculpture-tableau en forme de devinette intitulée This Painting Is Blackmailing Your Ego combine habilement un travail des matières et un jeu sur les lettres. Une suite de lettres fait le tour du tableau, alignées sans ordre apparent sur un fond de sable peint. Chaque lettre semble avoir été faite par un moule issu de la panoplie d’accessoires d’un enfant à la plage. L’usage enfantin des lettres manifeste un rapport au langage plus sensible qu’intellectuel. L’emploi du sable en tant que matériau expressif évoque Tàpies.

Avec Womanray, Zenita Komad poursuit ce travail sur les matières tout en faisant explicitement référence, par le titre en forme de jeu de mots, à la célèbre photo de Man Ray Le Violon d’Ingres. De fait, cette sculpture-tableau reprend la démarche du photographe surréaliste en peignant deux ouïes sur une robe à la blancheur laquée et maculée de sable.
La référence que Zenita Komad fait à sa mère, qui était cantatrice, accompagne la thématique du vêtement constamment présente dans l’œuvre, qui se situe ainsi dans le sillage du questionnement par Roland Barthes de la mode comme langage, comme combinatoire de signes.
L’insertion du textile dans l’image s’inscrit à la lignée d’autres artistes (Tàpies, Beuys, l’Art povera, Claes Oldenburg, etc.) et de leur recherche de nouveaux rapports entre la peinture et des matériaux non picturaux.

Pflicht und Schatten reprend et radicalise la thématique du jeu sur les lettres. Sur un fond rouge vif qui donne un impact immédiat à l’Å“uvre, les lettres semblent vouloir gagner leur autonomie en passant en 3D dans le plus grand désordre. En mettant l’accent sur la forme sculpturale des lettres Zenita Komad prend «à la lettre» la formule heideggeirienne de la langue comme la «maison de l’Etre». Les mots étant non seulement les pierres angulaires de notre structure de pensée, mais la condition même d’habiter le monde.

Avec Sei Licht Für Die Welt nous retrouvons les accessoires de l’enfance avec la pelle, les lettres en forme de râteau, et la flèche rouge! Beaucoup d’artistes ont tenté de faire sortir la peinture de son cadre vers la concrétisation d’un tableau-objet. Zenita Komad y parvient particulièrement dans Der Mensch est zur freileit verurteilt. Les lettres, choisies pour leur matérialité et leur qualité plastique, sont assemblées verticalement en 3D sous forme d’un véritable anneau de Möbius.
En jouant sur le «corps» de la lettre, l’artiste manifeste le même plaisir «infantile» qu’entretiennent certains psychotiques dans leurs relations avec le langage, en privilégiant sa «chair» au détriment de sa dimension signifiante et communicante.
La culture occidentale a procédé à une épuration de l’écriture au détriment des valeurs gestuelles et tactiles de l’écriture manuscrite, tout en assurant la persistance d’une impulsion enfantine à jouer avec les lettres comme avec des matières magiques. La réapparition de ces jeux dans l’art contemporain témoigne d’une forme de résistance a contrario du travail de désincarnation de l’écriture.
Francis Ponge a inventé la notion d’«objeu» par contraction des termes d’«objet» et de «jeu». Les œuvres de Zenita Komad sont de véritables «objeux». Le sable comme les lettres sont par excellence des médiums malléables qui permettent à l’artiste de construire des «objeux» indéfiniment.

La sculpture-tableau Angel propose l’étrange rencontre d’une ébauche de plumes d’aile avec les symboles d’une équation mathématique particulièrement absconse.
Peut-être que l’artiste nous invite comme Schiller à réconcilier nos deux facultés antagonistes (sensuelle et rationnelle) trop souvent opposées au sein même de l’esthétique contemporaine (la dimension «cérébrale» de l’art conceptuel et la recherche de la «sensation» pure).

L’exposition se termine par une apothéose du jeu puisque que le spectateur est invité à se jeter dans l’installation en forme de bac à sable! Relation, par son titre même, semble une parodie littérale d’une certaine esthétique relationnelle. La sculpture-tableau est cette fois renversée sur le sol et suffisamment agrandie pour que l’on puisse (enfin!) jouer au contact du sable. On pourra ainsi retrouver son cÅ“ur d’enfance en gravant sur les parois de bois brûlé les graffiti des prénoms de ses premiers amours…

—  Zenita Komad, This Painting Is Blackmailing Your Ego, 2010. Sculpture-tableau sable. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Womanray, 2009. Sculpture-tableau. 150 x 110 x 30
—  Zenita Komad, Pflicht und schatten, 2009. Sculpture-tableau. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Keypainting, 2010. Sculpture-tableau. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Sei licht für die welt. Sculpture-tableau. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Control yours thoughts, 2010. Sculpture-tableau, sable. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Angel. Sculpture-tableau. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Der Mensch est zur freileit verurteilt, 2009, sculpture-peinture. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Drawings, 2010. Technique mixte sur papier. 40,5 x 29 cm
—  Zenita Komad, I need no father, 2009. Sculpture-peinture. 150 x 110 x 25 cm
—  Zenita Komad, Relation, 2010. Mixed media. 176 x 216 x 220 cm