ART | INTERVIEW

Axel Palhavi

Axel Palhavi, qui expose à la galerie Eva Hober, délivre ses orientations esthétiques, oppose souvent l’idée à l’énergie. Alors que l’idée lui semble trop enfermer l’énergie, il prend le parti de l’énergie qui crée des idées.

Interview
Par Marguerite Pilven

Marguerite Pilven. Il y a dans tes tableaux une dimension autobiographique très forte : tu t’y représentes personnellement et tu as repris des compositions réalisées à l’âge de seize ans lorsque tu as décidé que tu voulais devenir peintre. Cette exposition, tu la présentes aussi comme une déclaration d’amour renouvelée à la peinture…
Axel Palhavi. Par ce côté autobiographique, je cherche à puiser dans une matière première, une essence, et ce que je ressens au quotidien produit une énergie que je reformule ensuite dans mes peintures. Je suis également sensible à ce que me dit mon entourage, notamment Florence, ma compagne. Ce que je peins doit lui faire aussi plaisir. Ces aspects très intimes me permettent d’échapper à ce qui ne serait que des références à l’histoire de l’art pour créer quelque chose d’impur où je mêle également des préoccupations intimes.

En même temps c’est plus complexe qu’une déclaration d’amour, il y a aussi de la critique, un côté kitsch qui joue sur le jugement de valeur, voire la parodie…
Dans mon travail, le kitsch correspond avant tout à une recherche de limites. J’aime bien chercher le point ou le beau va basculer en kitsch. En ce qui concerne l’aspect parodique, qui est un mode de distanciation d’avec les influences, cela vient après. Au début, je suis dans ma peinture et ne me pose pas du tout de questions de ce genre. Il n’y a pas d’aspect stratégique, je suis dans une sincérité première à laquelle j’essaie de coller. Cette forme ridicule ou grotesque que le tableau peut prendre me dépasse en fait totalement. Ce sont comme des débordements que je ne voudrais pas forcément mettre en place. Au départ, ce n’est pas du tout intentionnel. Ce que je revendique surtout par rapport à cet aspect, c’est une forme de maladresse. Beaucoup de choses apparaissent malgré moi.

Un aspect qui rapproche vraiment ton travail de celui de Jérôme Zonder, le mélange des styles, la volonté d’explorer simultanément plusieurs systèmes. Tu puises tes idées aussi bien dans la peinture classique que dans la bande dessinée ou le film gore américain…
Chez Jérôme, il y a la volonté de créer une palette, un alphabet possible. Chez moi, il s’agit plus d’un transport amoureux. C’est en suivant mes désirs que je me retrouve avec quelque chose de totalement hétérogène. Plutôt que par volonté de contrôle technique, cette disparité relève d’une recherche émotionnelle qui trouve son expression dans cette diversité technique. Le désir et l’envie sont les moteurs de mon travail. Mais le jeu de citation purement formel ne m’intéresse pas, j’y recherche toujours une forme de transcendance, un lieu d’expérimentation possible.

Tu me disais assumer une sorte de schizophrénie constitutive en essayant de faire tenir ensemble des éléments hétérogènes, contradictoires…
Oui, mais l’aspect autobiographique y est aussi pour beaucoup. Mes arrières grands-parents sont de huit pays différents et ça fait beaucoup d’histoires familiales très différentes qui se mélangent et sont souvent abracadabrantes, comme des moments d’irréalité. Elles ont quelque chose de romanesque, avec une profusion de détails qui fait que tout a l’air faux tellement c’est exagéré. Ma pratique de la peinture est aussi pour moi une manière d’exister dans ma famille, lourde de sens et de conséquences. Quand je peins, il m’arrive par exemple de penser à ce que va dire ma grand-mère quand elle verra le résultat. Mentalement, je discute avec toute une tribu qui me dit des choses contradictoires, critique ce que je fais. J’ai envie de contenter tout le monde, ce qui me conduit à exploiter des systèmes très différents.

Tu es d’ailleurs attiré par les figures qui expriment une dualité : tu te représentes en centaure, en homme bicéphale, tu as réalisé une série de portraits ou plusieurs visages se télescopent les uns sur les autres. Il y a aussi les compositions dans lesquelles apparaissent deux têtes et que tu considères en fait comme le portrait d’une seule personne…
J’ai du mal à analyser cet attrait. Effectivement, ça revient très fréquemment. Mais ceci correspond aussi tout simplement à quelque chose de dialectique. Dans un tableau, quand je pose un élément, ça ne me suffit pas. Je peins un monstre, mais c’est insuffisant : il me faut aussi de la beauté, de l’amour, quelque chose qui contrebalance cette première figure. Ça vient aussi du fait que, tout simplement, je ne sais pas choisir.

Revenons au centaure, cette figure qui exprime en fait le dualisme corps-tête, physique et mental, ou animalité et intellect, une figure hybride qui trouve sa place dans ta question sur la façon de faire travailler ensemble le corps et la tête, question qu’on sent assez déterminante dans ton approche de la peinture.
Le centaure est une forme dans laquelle je me sens bien. Esthétiquement, elle me plaît. Ensuite, du point de vue du sens, c’est un lieu de transformation, de mutation. Je peux devenir quelque chose qui n’existe pas et cela me plaît de vivre un espace impossible que je vais essayer de rendre réel aux yeux des autres. Pour ce qui est de la dualité, homme-animal, ou œil-bouche, autre dualité très fréquente dans mon travail, je cherche en fait à créer une unité entre des formes contradictoires. Cependant, je n’y arrive jamais. Même lorsque j’ai peins le centaure, il me faut encore rajouter la Centaurette, je suis toujours rattrapé par cette envie de mettre ensemble. Mais en mettant en scène ces figures mythiques, je voulais aussi que ça ressemble à une scène de vie quotidienne. Florence, la Centaurette a l’air de se coiffer, on a vraiment l’impression d’une rencontre dans la salle de bain le matin. En dehors des espaces purement symboliques, il y a vraiment un aspect banal, sensible. Ce mélange des échelles est un ensemble que j’aime bien et je cherche toujours à suivre mon goût. C’est de l’ordre d’un équilibre mental assez sensitif qui fait intervenir un espace abstrait, des considérations de l’ordre de la composition mais aussi des choix très affectifs.

La croix est un autre motif qui revient souvent dans tes tableaux, est-ce également parce qu’elle représente une tension, à la fois plastiquement et symboliquement ?
Au départ, la croix est apparue par hasard, parce que j’avais dessiné quatre têtes aux coins de la toile et qu’est apparue au centre de la toile une croix. C’est donc venu de quelque chose de formel. C’est aussi lié à une symbolique morbide, mais vécue. J’ai vraiment une croyance religieuse très profonde, vécue parfois violemment. Mais il me plaît dans cet usage du centaure, ou dans celui de la croix, que ce soient des éléments symboliques, irréels, qui correspondent en fait à des choses très concrètes, que je vis réellement. Ces symboles là me permettent d’être entre le rêve et la réalité, de les mélanger.

Il y a dans ton travail une énergie très forte, quelque chose de très physique…
Lorsque je peins, je me mets souvent en état d’hystérie. Je commence en général à peindre très calmement dans la partie de l’atelier la plus éclairée, puis je descends dans l’espace qui est moins éclairé où j’écoute de la musique, parfois mauvaise, très fort. Je rentre dans un état à la fois jouissif et douloureux dont je ressors usé, mais aussi nettoyé. Je pense vraiment que la peinture peut me conduire dans un espace qui n’existe pas ailleurs, c’est une question de croyance. Mais tout passe en premier lieu par le corps. Si la sensation est bonne, je sais que le tableau est juste. Si je ne ressens rien, c’est que le travail à été mauvais, que le tableau n’est pas bon.

Que voulais-tu dire, lors d’une conversation, à propos d’essayer de te constituer un corps par la peinture ?
Dans la vie courante, je suis très maladroit, incapable de bricoler ou de faire un croquis. Avec la peinture, j’ai trouvé une pratique qui transforme mon corps en quelques chose de très habile. Je suis soudain capable de faire des choses très virtuoses et techniques. Un peu comme dans la relation amoureuse, ça tourne, tout est juste, à sa place. Ça me permet d’aller au bout de mes sensations corporelles. Quand je peins, j’arrive tout à coup à un état d’adresse, je me découvre un corps très habile.

La tonalité exagérée de tes tableaux est une constante qui tire du côté de la noirceur, du grotesque ou du gore. Que cherches-tu à provoquer par ces ambiances extrêmes ?
Il y a probablement un côté : « Regardez, j’existe », un désir très fort de m’exprimer, un peu comme les stars de pop, Freddie Mercury ou Michael Jackson. C’est vrai que Vincent Delerme est plus sobre et fait peut-être moins d’erreurs, mais je me sens plus proche de ces personnages qui se mettent en jeu, courent le risque d’être ridicules pour aller au bout de quelque chose. J’aime aussi leur côté enfantin, flamboyant. Mais cette exagération provient aussi du fait que j’ai du mal à voir les choses, qu’il m’en faut à moi-même beaucoup pour que ça me fasse de l’effet. J’ai un esprit assez primitif et quand je regarde les travaux des autres, je cherche ce premier regard, la première impression. C’est comme avec la musique, j’aime ce qui sonne bien tout de suite, le côté tube, mais qui en même temps dure dans le temps.

Tu empruntes finalement à la peinture d’histoire ses grands formats et son éloquence exagérée, mais pour réaliser une peinture d’histoire(s) plurielle mélangeant les références culturelles et autobiographiques…
Ce que j’aime dans la peinture d’histoire, c’est que ce sont des peintures-monde qui permettent un maximum de projections. Aujourd’hui, il y a un côté mode d’emploi dans beaucoup de travaux. On te donne à la fois le tableau et son explication, qui peut s’avérer très intéressante, voire passionnante, mais on est quand même soumis à cette loi de l’explication. C’est la compréhension qui prime sur le sentiment, ça devient comme des petits problèmes logiques que je ne comprends d’ailleurs pas toujours, et puis, une fois qu’on a compris, ça n’a plus beaucoup d’intérêt d’être revu. Dans une peintures d’histoire, comme par exemple Le Radeau de la Méduse, on peut y revenir sans cesse, être attentif à tel détail un jour, puis à un autre la fois suivante. C’est très riche.

On a l’impression que toutes ces stratégies sont surtout destinées à redonner à la peinture de la vitalité, j’aurais presque envie de dire du « sang neuf », parce qu’il y a un côté cannibale dans cet exercice de réappropriation des systèmes et que tu es obsédé par les mâchoires…
Il y a une recherche de vie et surtout une volonté d’affirmer qu’on peut peindre ce qu’on veut comme on veut. Tout est possible si on en a envie. Beaucoup de démarches en peinture sont trop restrictives, je les trouve trop compliquées, paralysantes. Par rapport à ce milieu-là, j’ai l’impression d’être un sorcier africain qui rentre dans un temple protestant et qui commence à faire des mélanges bizarres. Je me sens très impur.

Et le titre de ton exposition ? « Soleil Crashé »…
J’ai pensé aux pop stars, le côté étoile filante qui brûle et va s’éclater contre un mur. Dans le soleil, il y a aussi une idée de dépense pure, de quelque chose qui se consume, qui essaie de briller au maximum avant de s’éteindre. Dans ce titre, il y aussi un rapport d’énergie. J’oppose souvent l’idée à l’énergie. J’ai l’impression que l’idée enferme l’énergie alors que l’énergie crée des idées.

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