ART | EXPO

Zone de ralentissement

08 Oct - 12 Déc 2015
Vernissage le 07 Oct 2015

Olivier Nottellet présente ce qui de prime abord semble relever du dessin, mais les masses compactes, les formes graphiques et le rapport au volume finissent par ancrer son travail dans un dialogue entre aplat et espace, structures précaires et masses flottantes. Cet art de l’entre-deux place le spectateur dans une posture instable mais réflexive.

Olivier Nottellet
Zone de ralentissement

« Le travail d’Olivier Nottellet est hanté par un fantôme tricéphale qui se joue des espaces qu’il traverse (la feuille, le mur, la pièce). Qu’il “convoque tantôt l’écrivain, l’architecte ou le cinéaste”, c’est le plus souvent sous l’apparence du dessinateur que l’esprit a choisi de se montrer.

Ses dessins sont des masses noires qui s’écroulent, rebondissent, se diffractent, s’épanchent et explosent. Toute une grammaire légèrement désaxée, branlante, d’où émergent parfois des personnages à tête noire encombrés d’objets, des constructions précaires proches de l’effondrement, des cadres vides empilés et désorientés. Les dessins habitent d’abord l’espace de la feuille blanche, celle des cahiers, que l’artiste produit et qu’il exploite comme matériau en vue d’une future adaptation : “Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser cette matière; j’ai une manière cinématographique de l’utiliser, je me promène parmi les dessins comme avec une caméra”. Comme des acteurs d’une histoire à venir dont le lieu sera l’espace de l’exposition, les dessins migrent des cahiers pour venir se confronter à la réalité des murs ; ils s’agrippent aux changements d’échelle, moquent portes et fenêtres pour donner la réplique à des objets qui leur ressemblent et avec lesquels il leur arrive de s’accoupler. Échappés de leur espace bidimensionnel, ils produisent le dialogue de leur présence conjuguée et éphémère : leur apparition ne dure que le temps de l’exposition. Pas de camouflage, ni de trucage, car Olivier Nottellet “déteste le trompe-l’oeil” et invite le spectateur à observer ce qui se passe en hors-champ, car tout est donné à voir. Le spectre du cinéaste donc, mais un cinéaste qui construit des films sans scénario préalable.

Pour Olivier Nottellet, le travail “consiste à émettre une hypothèse dans un espace: que ce soit une feuille, une salle, une définition”. L’espace de l’exposition va devenir non pas le lieu de la résolution, mais la formulation de cette hypothèse. Il va s’agir de mettre en situation, d’opérer des glissements, de travailler des articulations, d’utiliser “le paradoxe du mur érigé, obstacle au regard et lieu de perspective, de projection” pour tenter des raisonnements insensés et souvent tronqués que le spectateur s’efforce de suivre et de compléter. Et l’on circule dans ces espaces à la recherche d’une résolution qui échappe en même temps qu’elle se construit; on évolue dans ces lieux comme dans un espace familier plongé dans le noir: on avance à tâtons, à la recherche d’une forme que l’on connaît, d’un angle que l’on identifie, d’un couloir dont on maîtrise les dimensions, on suit un pan de mur comme le fil d’une pensée. Olivier Nottellet organise une mécanique du désordre qui place le spectateur en position d’instabilité, en état de trouble; un trouble qui, étrangement, se révèle presque apaisant. Les éléments qui constituent ses édifices ne tiennent qu’à un fil, une feuille, un bord de fenêtre. Un architecte, donc, mais un architecte qui construit des bâtiments sans fonction.

Depuis quelques années, les éléments figuratifs tendent à disparaître de son travail au profit d’éléments anthropomorphiques, et ses expositions se remplissent d’objets manufacturés “qui s’apparentent à des indices” : des chaises à roulettes, des lampes de bureau, des tables. Un vocabulaire qui évoque celui des open space, des bâtiments administratifs, des espaces impersonnels du monde du travail. Les objets qui colonisent paisiblement son travail ressemblent à ses dessins, si bien qu’on ne sait plus qui a commencé et qui copie sur qui. La Cage à lampes ou Le Suicide de la feuille blanche évoquent-ils ce qu’ils représentent ou est-ce l’inverse ? Il semble que la phrase soit contenue à l’intérieur de la forme: “La coïncidence des combinaisons de mots, le langage, la combinatoire des formes, des images, tout cela doit se passer dans un no man’s land de la pensée qui échafaude ce qu’elle détruit, ce désarroi de la compréhension juste avant le compréhensible.” Et l’on s’infiltre dans ses oeuvres comme à l’intérieur d’un raisonnement, on circule à l’intérieur de ces masses noires comme au coeur d’une pensée qui n’aurait ni logique, ni finitude, mais qui n’en finirait pas de se creuser. Un écrivain, donc, mais un écrivain qui chercherait ses mots.

L’oeuvre d’Olivier Nottellet se situe dans une oscillation trouble entre l’apparition et la disparition. Les formes trouées qu’il convoque persistent par leur réminiscence au-delà du visible, elles aiguisent le regard sans autorité, elles racontent une intrigue sans dénouement ni péripétie et entraînent dans leur sillage une dégringolade nostalgique, une mélancolie explosive: toute une armada fantôme que l’on suit du regard jusqu’au franchissement d’un horizon qui n’en finit pas de nous échapper.»

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