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Zérodeux n°24

Revue trimestrielle gratuite pour connaître l’actualité artistique contemporaine du très grand Ouest : articles sur les expositions en cours, textes critiques, entretien avec Bruno Peinado, calendrier…

— Directeur de la publication : Patrice Joly
— Parution : janvier-février-mars 2003
— Format : 29,50 x 21 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 38
— Langue : français
— Prix : gratuit

Hardcool
éditorial par Judicael Lavrador

Entre les excès d’un engagement trop revendiqué et les limites de formes séduisantes ou spectaculaires, les artistes contemporains ont trouvé la parade, une esthétique coolement radicale.

La diction est grave et intransigeante. Après les vues de camps palestiniens filmés la voix-off s’éternise sur des séquences abstraites et se fait l’écho des mots et des images calés à l’écran dans un montage graphique. Elle égrène un discours révolutionnaire en v.o, celui de la lutte des classes et du matérialisme dialectique. Un démontage critique de l’imagerie instituée réalisé par Le Groupe Dziga Vertov, ce collectif créé par Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin au début des années 70. C’est l’artiste autrichien Peter Friedl qui a retrouvé quelques opus de ces films rares, et les a projeté dans sa rétrospective à l’ICA de Villeurbanne. « Luttesdesciasses » était une expo mélancoliquement radicale et les vidéos de Dziga Vertov, fascinantes, prenaient ici un ton un peu suranné. En contrepoint, dans les autres salles de l’expo, Peter Friedi mâtinait d’un désenchantement très contemporain des œuvres pourtant chargées de références très politiques. À l’image de ce drapeau kurde imaginé par l’artiste, un étendard rose pacifique et n’arborant en son centre qu’un trou béant, aussi large que les espoirs d’un peuple à qui sa lutte laisse un sentiment d’incomplétude. À ce drapeau, secrètement national et politique, pourrait correspondre le slogan poétique que Saàdane Afif a inscrit sur un tee-shirt : Restore hope, ne se lit bien en fait que dans le portrait de l’artiste par Guillaume Janot. Saâdane Afif y apparaît la tête baissée, pantin désarticulé par le noir profil du Palais de Justice de Nantes, en perspective à l’arrière-plan. Pas un message politique à proprement parler. Sûrement pas non plus une posture désespérée façon punk nihiliste.

Plutôt l’expression d’une envie très contemporaine de radicalité en même temps que la conscience de ne plus pouvoir en passer par des formes ou un langage dogmatique, ni révolutionnaire. À la gravité parfois volontiers pompeuse des sermons idéologiques d’hier se substitue aujourd’hui une esthétique faussement nonchalante. Elle n’a pas remisé un désir de radicalité mais est capable d’en rire, et de faire sourire. Bref, en lieu et place de l’artillerie lourde et conceptuelle d’hier, l’art contemporain adopte volontiers une tonalité comique. Et se méfie davantage des professions de foi ou des manifestes, en somme de tout ce qui peut adopter un ton trop assertif. Dans ce numéro de 02, Thomas Clerc explique à propos des textes de Jean-Charles Masséra que ces deux caractéristiques pourraient bien être aujourd’hui les signes les plus tangibles d’une littérature engagée. Et valoir comme telles dans la sphère des arts plastiques aussi bien. Fin en somme de l’opposition frontale, d’un idéal d’absolu et (ré)apparition d’une stratégie plus cool, mais pas moins radicale.

Il suffit de penser aux réjouissantes et tapageuses interventions d’un Gianni Motti, ou aux pièces d’un Maurizio Cattelan. À d’autres encore qui adoptent les mêmes méthodes de production ou de diffusion que ceux de l’économie de marché ou des mass media, mais à une autre échelle. Par exemple, ils mettent en scène les icônes-stars sans les vider tout à fait de leur charge distrayante et même en rajoutent une louche comme Boris Achour dans son Fast Forward. Un Francis Baudevin multiplie par 10 la taille des logos commerciaux, supprime toute mention écrite, les rend ainsi à une origine graphique abstraite et gomme la vieille opposition entre le pop, corrompu, et le minimalisme, sainte-nitouche considéré romantiquement comme un bloc brillant au-dessus de tout soupçon consumériste.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de Zérodeux)