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Yves Ballerie

Entretien
Avec Yves Ballerie
Par Hélène Sirven

Hélène Sirven. Tu présentes jusqu’à la fin du mois de juin (2007) une installation intitulée Peintures S.V.T, à Paris, dans un lieu particulier et sur rendez-vous. Peux-tu retracer le parcours artistique qui te conduit aujourd’hui à montrer cet ensemble de peintures, d’images, d’objets, ainsi qu’une vidéo, mis en scène dans ce lieu ? D’ailleurs «installation» est-il le mot juste?
Yves Ballerie. Tout a commencé au milieu des années 80. À cette époque, mes centres d’intérêt se portaient sur des artistes tels que Pierre Soulages ou Robert Ryman, sur des mouvements tels que l’Art minimal ou Supports/Surfaces. Ce dernier avait particulièrement attiré mon attention dans la mesure où je voyais là une approche de la peinture très radicale et très différente de celle que je connaissais. C’est à partir de ce moment-là que je me suis intéressé à la couche picturale, pour elle-même, décollée du subjectile.
Par ailleurs, j’ai toujours conservé depuis ma scolarité un goût certain pour la biologie, influencé peut-être par mon entourage familial et amical, qui n’est pas étranger à la nature du travail que je présente aujourd’hui.
C’est de ces interactions, de ces interférences entre ces deux univers que sont nées les Peintures S.V.T. (Sciences de la vie et de la toile).
L’ensemble des pièces que je présente a fait l’objet d’une mise en scène. J’ai voulu exposer les toiles opérées avec les radiographies et leurs rapports, le divan, la vidéo, ainsi que les boîtes d’embryons, de manière à recréer l’ambiance d’une salle d’examen d’hôpital: d’où la couleur vert pâle des murs, le lino vert foncé du sol et cette unique ampoule verte du plafond blanc qui renforce l’aspect impersonnel du lieu. Il s’agit moins d’une installation que d’un environnement où les éléments, bien qu’indépendants, se répondent pour finalement constituer un tout.

Comment as-tu monté ces pièces ? Quels liens établis-tu entre elles?
La conception de l’exposition s’est faite relativement facilement dans la mesure où je me suis inspiré de ce que j’avais observé dans les hôpitaux. Ainsi chaque élément a trouvé rapidement sa place, qu’il s’agisse du divan et de sa toile non-opérée, du négatoscope, des peintures «opérées», de la vidéo, des boîtes d’embryons et des divers autres meubles. Chaque pièce marque un stade du possible parcours d’un patient en milieu hospitalier: d’abord l’examen, puis les radiographies, puis l’opération (ici filmée), puis le retour à la normale, si l’on peut dire, lorsque les toiles sont de nouveau accrochées au mur, verticalement. Les boîtes, quant à elles, présentent la peinture à un stade embryonnaire ou immédiatement post-embryonnaire.

Quelle place, quel rôle donnes-tu à la vidéo?
La vidéo comme les peintures, les images et les autres objets fait partie de la mise en scène. Son rôle n’est ni déterminant, ni central, elle n’a ni plus ni moins d’importance que les autres pièces.
Le bruit de l’incision de la couche picturale, l’extraction d’une masse de peinture blanche (d’où le titre: Yvo-Balleriectomie), le rythme de l’opération, l’univers sonore qui l’accompagne et l’environne, ont motivé cette vidéo dont l’objet nous renvoie à notre rapport au corps et à la maladie.

En quoi ta présence dans le lieu et dans l’ œuvre se justifie-t-elle?
Ma présence en blouse blanche se justifie par le fait que je me considère comme une pièce de plus au sein de cette exposition. Ma tenue me renvoie à un rôle de «praticien», de «biologiste», de «professeur de CHU» expliquant son travail. C’est une sorte de performance facultative à des fins didactiques.

Comment les visiteurs ont-ils réagi?
Dans l’ensemble les gens ont plutôt bien réagi. Chacun de par sa profession, sa sensibilité, a perçu l’exposition de façon très différente. L’ambiance a généralement été ressentie comme calme et apaisante, alors que pour une personne elle s’est avérée oppressante. Des médecins ont porté un regard technique sur la vidéo, les peintures ou les objets, tandis que d’autres avaient une vision plus poétique des pièces exposées.

Quelles relations y a-t-il entre S.V.T et son lieu d’accueil?
A priori aucune. Le lieu d’exposition est un studio au sein d’un immeuble d’habitations. Vu de l’intérieur, à travers les stores de la fenêtre, la transformation du studio en salle d’examen d’hôpital a eu une incidence certaine sur la perception de l’immeuble et de sa sobre cour intérieure avec ses murs crème, nous renvoyant à un univers (in)hospitalier. Ce sont là, pourrait-on dire, des interactions collatérales imprévues mais tout à fait bienvenues.

Peindre aujourd’hui, qu’est-ce que cela signifie pour toi?
Il est vrai que peindre aujourd’hui peut paraître incongru. Mais mon parcours, ce côté analytique, exploratoire, ce besoin de rentrer dans l’intimité des choses, d’aller voir ce qu’il y a à l’intérieur, tout cela j’ai pu le conduire par le biais de la peinture avec une certaine distance ou mise à distance, voire avec un certain détachement.
Et puis, grâce à ces recherches sur la peinture, j’ai mis en œuvre une nouvelle façon de peindre, très différente de celle dont j’avais l’habitude. Ainsi, je peux peindre avec une peinture sèche et non plus uniquement fluide. Le temps de séchage n’est plus une limite au-delà de laquelle tout travail s’arrête. Je peux peindre avec la couche picturale, avec une matière solide et cela m’offre de nouveaux espaces à explorer.
Quand j’opère une toile par exemple, je peins; quand j’extrais une masse picturale, je peins toujours; quand je couds et suture une couche de peinture, je peins encore.

Quelles sont les artistes dont tu te sens proche?
Je n’en citerai qu’un: Bertrand Lavier.

Il y a une part d’humour dans S.V.T et dans la vidéo, alors que tu mets quand même le doigt sur des aspects assez délicats et graves de la vie contemporaine : notre relation au corps, à la mort, à la souffrance, aux autres… C’est important pour toi de garder cette distance?
Oui. Je suis très sensible à ce que tu évoques, et je n’aime pas trop en parler. Ce travail est pour moi une façon de les suggérer. D’ailleurs, certaines personnes m’ont fait ces remarques, souvent d’un ton amusé: «Là au moins, ça ne saigne pas!», ou «La peinture ne souffre pas, elle», ou encore, «Pas besoin d’anesthésie». Comme par soulagement peut-être…

Quels sont tes projets?
Ils sont nombreux. Certains seront dans le prolongement de ce que j’ai exposé, d’autres non car les pistes sur lesquelles je me suis engagé sont très variées. Mais je n’en dirai pas plus. Je n’aime pas parler des choses qui ne sont pas encore réalisées.

Yves Ballerie
Peintures S.V.T
jusqu’au 30 juin 2007
23, rue Chevert
75007 Paris
et sur rendez-vous: 06-83-83-64-75