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XXe FIN

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Rüdiger sort d’une démarche de photographe en lui préférant celle de l’arpenteur. Il marche dans New York et capte le flux de sensations par l’enregistrement des sons de la ville, ceux-ci retranscrits graphiquement sur d’immenses rouleaux noir et blanc.

Les voyages de Bernhard Rüdiger en appelle d’autres. En 2001, l’artiste parcourt le Proche-Orient sans jamais réussir à capter l’image de ses désirs. Il décide alors de transposer son récit à Manhattan, quand l’île n’avait pas encore subi le souffle de la guerre ni même le traumatisme du 11 septembre.

Face au risque du document photographique, Rüdiger sort d’une démarche de photographe en lui préférant celle de l’arpenteur. Il marche dans New York et capte le flux de sensations par l’enregistrement des sons de la ville, ceux-ci retranscrits graphiquement sur d’immenses rouleaux noir et blanc (Manhattan Walk. After Piet Mondrian, 2001).

L’exposition chez Michel Rein se fait l’écho de ce parcours. Elle y introduit aussi un parfum particulier : depuis la promenade sonore dans Manhattan, le monde est entré avec fracas dans le XXe siècle.

De quoi perdre ses repères avec le présent. De quoi également convenir de la fin de l’histoire. Le titre de l’exposition, « XXe FIN », situe le travail de Bernhard Rüdiger dans la sphère du doute. Un doute sur le sens de l’image et sa portée critique. Un doute sur le contexte de production d’une œuvre qui accomplit une nouvelle fois le détour par l’histoire.

Les deux rouleaux en portent le témoignage. Les Manhattan Walk font référence au souvenir de la marche, le lieu, la distance et l’heure ainsi qu’à l’action qui s’y est déroulée, même si celle-ci ne se traduit que par des fulgurances graphiques. Ils font référence aussi à l’impression que Mondrian se faisait lors de ses marches dans New York. Il les vivait comme des pas de danse, ce que Rüdiger a traduit par le Manhattan Walk, à la fois léger et inquiétant.
Les pièces de Rüdiger sont muettes, comme si le son qui s’accroche à ses lignes verticales, qui sculpte en creux ce paysage urbain était fossilisé, emprisonné par le temps et l’histoire.
Les correspondances, ici, ne manquent pas. Le travail de Rüdiger impulse un rythme entre croisement et aller-retour. Cette « inquiétante légèreté » que l’on parcourt en reproduisant la marche de Rüdiger devant ses rouleaux est également palpable au regard des installations du centre de la salle.

Deux cymbales surgissent ainsi à hauteur de tête, suspendues dans l’espace par un système de corde remontant jusqu’au plafond. Les cymbales sont maintenues aux cordes par une armature métallique reprenant la forme d’un crâne animal, celui du cerf peut-être si l’on tient compte du titre (Sans titre (cerf), 2004). Sans mouvement, sans bruit : les cymbales « fossilisent » le son, à la manière des deux rouleaux précédent, elles gardent le souvenir d’une activité mais, pantelantes, renoncent à sa résurgence. Tout comme le crâne, élément incongru mais étrangement présent qui n’est autre qu’un fossile parmi les fossiles.

A côté, l’élément central de l’exposition souffle la vie et le bruit à l’intérieur de cette cour peuplée de fantômes. Il s’agit d’une cloche en fonte posée sur un trépied métallique et presque dissimulée sous une armature sculptée dans les traits d’un autre crâne animal. La cloche sonne à une fréquence régulière dans un vacarme ahurissant, pas moins inquiétant finalement que les objets figés qui habitent ce monde. Son tocsin imprime un rythme (une marche si l’on poursuit la métaphore de Rüdiger) très lent à la déambulation, manière de formaliser le préambule à l’oraison funèbre dédiée à la fin du XXe siècle (XXe FIN, 2004).

Dans la petite salle, une pièce unique (Sans titre (chardon), 2004), elle aussi suspendue à des cordes, montrant encore une fois une cymbale. Celle-ci est accroché au moule métallique d’un bouquet de chardons. L’image du fossile est encore activée mais elle prend ici une dimension plus messianique. Le chardon annonce dans la religion chrétienne la peine et la douleur. Le crâne porte quant à lui, dans l’histoire de l’art et de la pensée occidentale, le symbole de la vanité comme composante essentiel de l’homme. Le crâne anticipe la chute de l’homme : c’est un signe qui prédit la mort et annonce à terme la fin de l’espèce.

La patine dorée qui recouvrent l’ensemble de ces sculptures prolongent en quelque sorte cette vanité dans l’enlisement de l’agonie, puis dans le silence de la mort. Les instruments ne sonnent plus, les êtres vivants (ici représentés par les animaux et les plantes) ne vivent plus.
Cette vision apocalyptique et quelque peu baroque de la fin du XXe siècle génère toutefois un commentaire éclairé de la réalité contemporaine. Bien que le Manhattan Walk soit pour l’artiste le fruit d’un hasard de circonstance, il est le cœur palpitant de l’exposition, le nœud dans l’organisation du travail de Rüdiger sur l’œuvre et son contexte. Car New York est bien le lieu de la rupture, la ville qui a vu fleurir et mourir le XXe siècle.

La ville qui est aujourd’hui la plaie ouverte de l’histoire contemporaine.

Bernhard Rüdiger
— XXe FIN, 2004. Bronze, moteur électrique. 190 x 120 cm, diam. 83 cm.
— Sans titre (bouc), 2004. Bronze. 75 cm, diam. 40 cm.
— Sans titre (cerf), 2004. Bronze. 60 cm, diam. 35 cm.
— Sans titre (chardons), 2004. Bronze. 75 cm, diam. 30 cm
— Manhattan Walk (After Piet Mondrian) (NY2 I mean), 2001. Enregistrement acoustique sur papier photo monté sur rouleaux en PVC. 201 x 1210 cm.
— Manhattan Walk (After Piet Mondrian)(NY2 Glockenspiel), 2001. Enregistrement acoustique sur papier photo monté sur rouleaux en PVC. 206 x 1000 cm.

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