ART | CRITIQUE

XIe Biennale de Lyon. Une terrible beauté est née

PAurélien Pelletier
@19 Déc 2011

La 11e biennale de Lyon intitulée "Une terrible beauté est née" par la commissaire argentine Victoria Noorthoorn, s’est donnée pour ambition d’interroger son époque, de penser le présent et le futur proche à travers la condition de l’homme et de l’artiste.

Cette 11e Biennale de Lyon, dont le commissariat a été confié à l’argentine Victoria Noorthoorn, s’est donnée pour ambition d’interroger son époque, de penser le présent et le futur proche à travers la condition de l’homme et de l’artiste. C’est par conséquent le doute, en bon reflet de l’esprit présent, qui donne ici le ton.

Face au pessimisme ambiant, la commissaire fait appel au pouvoir de l’imagination, aux utopies comme remède aux temps incertains. A la différence de la précédente édition, bien plus explicitement politique, orchestrée par le Chinois Hou Hanru, qui prônait l’art comme un outil au service de la révolution, un art à fonction sociale, Victoria Noorthoorn préfère s’écarter du réel, prôner le mensonge et affirmer sa proximité avec le théâtre et la littérature. Les œuvres sont en dialogue avec le présent, mais toujours en marge de la réalité, dans une sorte de monde parallèle autonome.

On compte beaucoup de productions, commandées aux artistes pour répondre à des sujets communs, pour essayer d’établir une communication entre les œuvres, ce qui développe une certaine cohérence au sein de l’exposition. Cela mérite d’être souligné devant l’ingrat exercice de mise en espace des méga-expositions de type biennales composées d’une multiplicité et d’une diversité de propositions.

La part belle est donc faite à l’imagination, à l’artiste créateur de mondes. En témoigne cette vidéo de Javier Téllez, Dürer’s Rhinoceros (2010). Tournée dans un panoptique au sein d’un hôpital psychiatrique de Lisbonne, elle montre des patients tour à tour confinés dans de minuscules cellules, occupés à s’inventer des univers qui leurs sont inaccessibles.
Sous l’égide du mythe de la caverne ou de l’histoire de la gravure du rhinocéros que Dürer réalisa à partir d’une description textuelle, sans jamais avoir vu l’animal, chacun des personnages ne peut que s’imaginer le monde extérieur. Le pouvoir de l’imagination peut seul les maintenir en vie.

Cette autorité répressive et contraignante incarnée par le panoptique se retrouve sous une forme différente avec Stronghold de Robert Kusmirowski. Réalisée pour l’occasion, l’œuvre consiste en une large enceinte circulaire en bois terminée par des barbelés, dont on ne peut voir l’intérieur qu’en le surplombant depuis le premier étage. Des milliers de livres y sont empilés sur des étagères, dans des cartons ou bien entassés à même le sol.
Au centre de la pièce, se tient un grand compresseur que l’on devine destiné à broyer méthodiquement les livres avant qu’ils ne terminent brûlés dans le four situé juste derrière, selon un scénario qui rappelle celui de Farheneit 451 de Ray Bradburry. On découvre donc un improbable lieu de destruction de livres, dans lequel le savoir, l’histoire, la poésie, tout est menacé par un obscurantisme déjà en marche.

La transmission est au cœur de cette manifestation, c’est d’ailleurs le titre de ce cycle de trois biennales, particularité lyonnaise, dont l’édition 2011 est la seconde. L’artiste Dominique Petitgrand nous en livre une forme simple, drôle et décalée, avec A la merci (At the mercy) (1998-2011).
Une bande sonore laisse entendre un très jeune enfant faisant répéter à un adulte une phrase longue et complexe, insistant sur chaque syllabe, n’hésitant pas à régulièrement le reprendre lorsqu’il n’est pas satisfait de la diction. En parallèle une vidéo présente les sous-titres synchronisés de tout ce qui est dit, mais traduit en anglais. De par l’absurde de la situation, due au fait des rôles inversés et de la prononciation approximative du bambin sensé être l’instructeur, cette œuvre déplace la hiérarchie habituelle de la transmission du langage en donnant à l’enfant une place dominante, comme pour nous rappeler qu’eux aussi ont beaucoup à nous apprendre.
La traduction illisible en anglais, langue «universelle» supposée largement compréhensible, témoigne de la difficulté et parfois de l’inutilité à vouloir passer d’une langue à une autre sans altérer le sens original.

Comme souvent dans ces grandes manifestations, les textes des commissaires font presque office de manifeste et apposent leur vision de l’art comme des vérités absolues, à une époque ou l’art n’a jamais été aussi étranger des certitudes.
Par exemple, en citant Oscar Wilde pour qui «la fonction de l’artiste est d’inventer et non d’enregistrer», Victoria Noorthoorn rejette des artistes comme les Becher ou les travaux photographiques d’Ed Ruscha et de beaucoup d’autres.

L’enregistrement n’est qu’un point de départ et c’est bien souvent par la restitution que les œuvres prennent toute leur valeur. Même au sein de la biennale certaines œuvres viennent contredire ces propos. Par exemple, le Péruvien Fernando Bryce au Musée d’art contemporain avec L’Humanité (2010). L’artiste immortalise des pages de journaux, des affiches de film et de théâtre en les reproduisant manuellement en noir et blanc de façon tout à fait mimétique.
Cette actualité politique et culturelle bien dépassée, empruntée aux supports éphémères que sont les journaux et les affiches, se retrouve transformée en objets pérennes, à contre-courant de l’instantanéité immédiatement dépassée après laquelle courent les médias aujourd’hui. Bien que le travail soit manuel, très certainement long et minutieux il s’agit bien là d’enregistrements.

La construction de l’Histoire et des histoires, les formes que peuvent prendre leurs récits, sont également interrogées avec la vidéo de Christoph Keller Retrograd. A reverse chronology of the medical films made at the Berlin hospital Charité (1999-2000).
Cet hôpital a longtemps abrité l’Institut du Film qui produisit environ un millier de films médicaux et scientifiques. Dans sa vidéo Christoph Keller alterne ces documents d’archives avec des interviews de scientifiques qui reviennent sur la réalisation de ces films et notamment sur tout ce qui n’est pas montré, leurs travers, comme le sort tragique de certains patients après les opérations. Les témoignages ne sont pas des réactions directes aux images d’archives projetées mais des récits autonomes. Ainsi c’est une multiplicité de petites histoires qui sont proposées, autour de l’histoire plus générale de cet institut dont nous n’apprendrons finalement rien de plus que ce qui est montré dans les films.

Une terrible beauté est née s’illustre donc par la multiplicité des supports et des formes qu’elle convoque pour illustrer son discours, sans pourtant perdre en cohérence. On peut tout de même regretter l’absence totale de la photographie au sein de cette onzième édition, comme si le médium était inapte à inventer le présent.

Å’uvres
— Javier Téllez, O Rhinoceronte de Dürer (Dürer’s Rhinoceros), 2010. Vidéo
— Robert Kusmirowski, Stronghold, 2011. Installation
— Dominique Petitgrand, A la merci (At the mercy), 1998-2011. Hauts-parleurs, vidéo.
— Fernando Bryce, L’Humanité, 2010. Série de dessins, encre sur papier
— Christoph Keller, Retrograd. A reverse chronology of the medical films made at the Berlin hospital Charité, 1999-2000. Vidéo

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