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Wout Berger

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Les natures mortes de Wout Berger sont des compositions en aplat. Les fleurs photographiées ont la particularité de pousser sur des terrains pollués et toxiques. Face à ces fleurs des champs, l’homme pollueur ne peut que pratiquer une culture hors-sol. Les fleurs des champs s’opposent aux fleurs des villes, la survie et l’imagination fait face à une végétation sous incubateur. 

Le premier genre photographique a été le paysage. La chimie capricieuse qui imposait un temps de pose très long, préférait la nature au portrait. Les plaines, les falaises, l’architecture se prêtait mieux aux incertitudes de la chambre noire. Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui le paysage occupe une place tout aussi importante dans la “photographie plasticienne”. Cette façon d’aborder notre époque, d’apréhender le monde à travers ce prisme, de le réduire à cette vignette est très contemporain.

La galerie Polaris défend ce genre qui raconte des histoires au-delà des clichés. En général les tirages se rapprochent de la taille des tableaux, ils en ont l’importance et le côté léché, sérieux, cautions préalables à toute légitimité artistique. La qualité du tirage, des couleurs en font des objets précieux. La série « Giflandschap » de Wout Berger s’inscrit dans cette tradition et cette qualité.

Son travail, sa problématique, sa facture, ses couleurs donnent comme résultat des images agréables à regarder. Elles ont la minutie de la peinture hollandaise qui est très importante pour le photographe. Elles ont le vaporeux des marines hollandaises, le sfumato de la peinture renaissante, et les préoccupations écologiques de notre temps.

C’est en 1986 qu’est né le projet de la série « Giflandschap » qui signifie paysage empoisonné. C’est à cette époque que Berger découvre les friches semi-urbaines d’Amsterdam. Entre ville et campagne s’étend des domaines sauvages mais déjà marqués par le sceau de la pollution. La terre est souillée, saccagée par les mains de l’homme.
Toxique et inexploitable ce terreau chimique parvient malgré tout à laisser pointer ici et là un peu de végétation. Des fleurs y éclosent et laissent apparaître mille couleurs. Contraste brutal entre une terre acide et des pétales colorés, la photographie ne donne à voir que des gros plans réalisés en aplats.

Le détail ici fonctionne moins comme un indice que comme un tout, il est un macrocosme, il contient un univers, un monde possible. Le magma d’une mare, les bulles souffreteuses d’un marécage, Ditch, résument et annoncent la planète Terre.

Pourtant, face à ces images très belles il est difficile de faire vibrer sa fibre écolo. Loin du trauma des plages mazoutées et des cormorans goudronnés, les terres aux camélias photographiées, évoquent un Eden caché aux quatre coins des villes, placé sous l’ombre de toutes les cités industrielles endormies. Malgré un message volontariste, la prise de conscience à du mal à voir le jour face à tant de beautés placées les unes à côté des autres. Le détail, s’il révèle un ensemble plus grand, s’il est porteur de l’univers, a l’inconvénient de se refermer sur lui-même. Aucune perspective n’est possible, aucun hors-champ n’est visible, et ce, à l’inverse des travaux précédents du photographe.

Auparavant, l’homme et son appareil photo se sont frottés à la commande des paysages de tulipes hollandais. Sociologue autant qu’artiste ces séries sur les rangées de fleurs donnaient de l’angle et de l’espace à un secteur qui ne se limitait à la documentation d’une activité économique, ou au brossage d’une simple carte postale convenue.
Au-delà de l’image d’Épinal, le photographe avant « Giflandschap » parvenait à sortir de la trilogie : tulipe, gouda, canaux. Il posait sur les paysages une gaze d’éther qui enveloppait le tout dans une brume lumineuse. Cette lumière du nord, il la retrouve dans la baie d’Ha Long, au Viêtnam, en photographiant l’île de Cat Ba. La perspective atmosphérique permet, grâce à l’utilisation de couleurs, de créer des profondeurs. Le photographe grâce à la brume de la baie, parvient à composer des grands aplats blanchâtres. Comme un maître ancien attaché à sa ville — Vermeer était le Maître de Delft — Wout Berger, Maître de Ruigoord (le village qui lui sert de modèle), témoigne d’une terre porteuse de tous les germes, de toutes les toxicités.

A l’inverse des polders prenant du terrain sur la mer, les terrains vagues aux fleurs vénéneuses démontrent qu’un pays peut s’effondrer à cause de ses racines. La maison Hollande ne tient plus par ses fondations. Il ne reste plus alors qu’à cultiver des plantes hors-sol.
Dimerzeedijk 1 et 2 représentent des grandes serres où tombent des verrières des pots de fougères d’un vert diaphane. La nature n’a d’autres choix que de se réfugier entre terre et ciel, là où l’ether, fluide plus léger que l’air, tisse un filme protecteur capable d’éradiquer tous les gaz toxiques, et autres effets de serre.

Wout Berger :
Cat Ba (Vietnam), 1998. Photo. 120 x 150 cm.
Kas met Varens, 2001. Photo. 120 x 150 cm.
De Kerf, 2002. Photo. 125 x 150 cm.
Gele Tulpen, 2002. Phto. 125 x 150 cm.
Ruigoord 5, 2002. Photo. 160 x 200 cm.
Ruigoord 2, 2003. Photo. 50 x 65 cm.
Ruigoord 4, 2003. Photo. 50 x 65 cm.
Ditch, 2003. Photo. 50 x 65 cm.
Fouille, 2003. Photo. 50 x 65 cm.
Gijs in Frankrijk, 2003. Photo. 65 x 45 cm.
Diemerzeedijk 1, 2003. Photo. 65 x 45 cm.
Diemerzeedijk 2, 2003. Photo. 120 x 150 cm.

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