LIVRES

Wim Delvoye : scatalogue

Artiste provocant, Delvoye mêle avec dérision, la beauté au trivial, le noble à l’ignoble : une machine à faire des excréments (Cloaqua), des engins de chantier en ébénisterie d’art, des radiographies de scènes érotiques voire pornographiques… Une dualité mise en lumière dans ce catalogue, dont on regrettera la conception désuète, signée pourtant de l’artiste.

— Éditeurs : Musée d’art contemporain, Lyon / Stiftung Museum kunst Palast, Düsseldorf
— Année : 2003
— Format : 21,50 x 28 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 82
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-906461-56-3
— Prix : non précisé

De la profondeur des corps
par Pierre Sterckx (extrait, p. 24-25)

Cependant le règne tout puissant de la signification, d’un art qui fait la part belle aux signes-déjà-là, dispose tout béants des pièges où maints artistes dit postmodernes se sont engouffrés : c’est l’art de la citation, le bout à bout citationnel, l’équivalence des styles. Une lecture superficielle du travail de Delvoye pourrait le cas échéant y faire-songer ; faï;ences de Delft sur butagaz ; héraldique sur pelle à neige ; vitrail gothique en fond de but ; camion sculpté à la thaï;landaise, etc. Tout cela risque, en effet, de se résumer à des collages d’emprunts en vue d’un effet cocasse et souvent de mauvais goût. L’essentiel de la démarche de Delvoye se passe néanmoins ailleurs, non pas entre une image postmoderne et une image ancienne, entre une image de style et une image populaire, mais entre l’ordre de la signification, que nous venons d’évoquer, et celui de la désignation, son ennemi. Jeff Koons a magnifiquement traité le problème par le plaisir. Là, au niveau de l’acte de désigner une chose, un acte, un état, il n’est plus question de généralités, totalités, globalités, systèmes etc. Les modèles sont précipités en des exemples et ceux-ci ne peuvent que décevoir. Ils font tomber le sens, le localisent en des singularités muettes, intransmissibles. « On ne démontre rien avec des exemples » disait Socrate. Le passage de la signification à la désignation, en effet, est une chute du sens, et pas n’importe quelle descente dramatique ! La pire. Toute désignation se prolonge en consommation, broiement, destruction. C’est le règne du sujet abyssal. Le créateur de Cloaca le sait bien. Chuter au fond du sujet, du corps c’est ipso facto atteindre un cloaque. Aussi, la fascination de Delvoye pour l’analité et la scatologie est-elle à relier directement à son expérimentation des nouvelles conditions de la subjectivation. Ce sont, en fait, de vieux problèmes, non pas éternels (il n’y en a pas) mais des problèmes à actualiser, et qui obligent au-delà de la recherche du singulier face au collectif à revoir la relation de la culture avec l’animalité. Si Cloaca n’exposait que sa propre merde, on pourrait la fétichiser, clore le processus sur un objet. Mais en fin de processus, l’excrément est montré (vendu) avec son menu. L’origine et la fin se simultanéisent, suggérant un troisième terme qui déboute la dichotomisation du noble et de l’ignoble, un x, un vide ; c’est la ligne de fuite qui déjoue le début et la fin, intensifiant la production de sens. Cloaca n’accédait pas au plaisir avant cela…

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Musée d’art contemporain de Lyon)