ART | CRITIQUE

Will Cotton

PNicolas Villodre
@10 Mai 2010

D’un simple couvercle de boîte de friandises, Will Cotton parvient à faire un tableau monumental, qui traite de la mythologie d’une manière distanciée, comme un péplum en cinemascope un peu viré, passé, pastellisé.

Le peintre hyperréaliste américain Will Cotton invente des èves angéliques, délicatement posées sur des nuages de Chantilly, des fondants sirupeux enrichis de crème fouettée, de meringue, de guimauve, des bonbons acidulés et de la barbe à papa…

Avec d’autres, Will Cotton brise les tabous, met en cause la hiérarchie des valeurs établies du bellement artistique et n’hésite pas à prendre la posture de l’admirateur de peintres pompiers tels que Bouguereau lui-même. En même temps, il limite son corpus à celui des peintres de pin-ups — dont le plus digne représentant reste sans doute Alberto Vargas —, à base de corps féminins chastement dénudés, sans que jamais le moindre poil ne dépasse.

Will Cotton peint ce qu’il aime, les femmes et le sucre, en supposant peut-être que tout le monde aimera ça: les commissaires, les galeristes, un vaste public et, bien entendu, les collectionneurs — il faut dire que le peintre a la cote. En plein trip de régression infantile, il sublime, mais la répétition risque de susciter l’écœurement, l’indigestion, le rejet — et la désexualisation.

Mis à part Rose (2009), un visage de jeune fille se détachant de son fond noir, un format modeste en même temps qu’une œuvre hors sujet, par son contenu et sa composition, les toiles sont toutes peintes de la même façon, ultra lisse. Ouvertement inspirées de représentations narratives du passé, elles sont conçues comme des collages immatériels: d’un côté, une photo de nature morte pour la déco, de l’autre, une capture d’écran avec un ou deux accortes escortes pour camper les personnages et, pour couronner le tout, une simulation Photoshop. Ces toiles de cieux non étoilés ont dû exiger plusieurs mois de travail chacune, tant l’exécution est fine.

La nymphette de Fairy Floss (2010) est une mignardise qui représente une jeune dame à la licorne droit sortie de l’épaisse écume d’un capuccino. Elle porte sagement une culotte rose. Son serre-tête est orné d’un cornet de glace italienne à la vanille.

Ice Cream (2009), une composition qu’on dirait conçue comme une affiche publicitaire à la gloire de Ben & Jerry’s, n’a rien d’une formule picturale inédite, mais tout d’une nouvelle recette de crème glacée. La cerise sur le gâteau est une Lolita qui prend son bain tranquillement, chez elle, non en boîte de nuit dans une de ces soirées «mousse» autrefois à la mode. Elle est songeuse, penseuse et démêle probablement le vrai du faux, en même temps qu’une fine mèche de cheveux.

Apennine (2010) fait penser au tableau d’Alexandre Cabanel, La Naissance de Vénus (1863), qui se trouve de nos jours au musée d’Orsay. La description de cette Å“uvre par Théophile Gautier peut encore s’appliquer à la scène peinte par Will Cotton: «Son corps divin semble pétri avec l’écume neigeuse des vagues. Les pointes des seins, la bouche et les joues sont teintées d’une imperceptible nuance rose».
Celle, un peu plus critique, d’Émile Zola, également: «La déesse noyée dans un fleuve de lait, a l’air d’une délicieuse lorette, non pas en chair et en os — ce serait indécent — mais en une sorte de pâte d’amande blanche et rose». La vénus en fourrure laiteuse jette un regard en coin, lève machinalement un bras, alanguie, épuisée ou prête à recommencer.

Consuming Folly (2010) est la toile la plus spectaculaire de la série et aussi, certainement, la plus ambiguë. Les deux demoiselles viennent, dirait-on, de consommer, vu leur vue embuée, leur moue dégoûtée. Leur ciel est à l’échelle d’une bonbonnière ou d’une chambre à coucher. Elles sont assises, côte à côte, sur un grand lit molletonné, recouvert de couettes églantine et regardent dans la même direction.

Will Cotton, d’un simple couvercle de boîte de friandises, parvient à faire un tableau monumental, qui traite de la mythologie d’une manière distanciée, comme un péplum en cinemascope au technicolor un peu viré, passé, pastellisé.

— Ice Cream, 2009. Huile sur toile. 61 x 86 cm
— Fairy Floss, 2009-2010. Huile sur toile. 211 x 142 cm
— Apennine, 2009-2010. Huile sur toile. 213 x 193 cm
— Consuming Folly, 2010. Huile sur toile. 183 x 244 cm
— Rose, 2009. Huile sur toile. 119 x 81 cm

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