ART | CRITIQUE

Whitney Bedford

PGérard Selbach
@12 Jan 2008

Encrage chaotique pour des tempêtes subies par d’antiques trois-mâts qui rompent ancrage et voilure, traits de feutre furtifs esquissant des vaisseaux fantômes en perdition, et palette multicolore de batailles navales : la mémoire de l’artiste est hantée par des souvenirs de naufrages qui lui causent passion et désespoir, tout autant que passion du désespoir.

Si pirates, corsaires et autres flibustiers ont moins fait partie de l’imaginaire collectif américain qu’en France ou en Grande-Bretagne, ils auront, en tout cas, marqué l’imagination de Whitney Bedford. L’artiste nous propose ainsi une série de quatre portraits aux contours dessinés au feutre noir sur fond jaune. Les célèbres Blackbeard et Mary Read y trouvent place. La facture y est délibérément simple, et les traits incertains rappellent le style des cartoons ou gravures populaires qui circulaient à la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle sur la côte nord-est des Etats-Unis.

Un autre genre pictural était en vogue à cette même époque : les « Marine Paintings », comme par exemple les marines très prisées d’un Thomas Birch (1779-1851). Là encore, les nombreuses illustrations de batailles navales gagnées, et parfois perdues, par les privateers, les frégates américaines, pendant la Guerre de 1812 contre les vaisseaux britanniques, ont-elles nourri la mémoire et émulé l’imagination de l’artiste ?
En tout cas, ses souvenirs de tableaux anciens deviennent sources de nouvelles compositions. Les images se superposent ou se mêlent, et son imagination complète le travail créatif qui s’inscrit bien dans la tradition de marine. Le peintre met, en effet, en scène des vaisseaux qui gîtent sous les grains ou explosent et sombrent sous les boulets des bateaux adverses à l’occasion de batailles navales.

Mais elle ne porte aucune attention méticuleuse aux gréements et accastillages des navires, ni aux formes des coques et des ponts. Ce thème ne l’intéresse pas. Elle préfère esquisser des silhouettes de deux ou trois-mâts par de simples traits d’encre noire. Les dessins montrent des navires comme en filigrane, des vaisseaux fantômes couchés sur le flanc, sur le point de couler. Elle sacrifie délibérément le détail aux effets de gîte des bateaux et de chaos des éléments pour parvenir à créer une atmosphère de drame.

Le choix des couleurs des fonds de ses tableaux contribue également aux effets désirés. La palette de W. Bedford va de la lumière jaune d’un ciel, à des flots gorgés de bleu et à un coucher de soleil vermillon : le rouge sombre domine dans Big Attack (2003) et Sunset Sinking (2003), le bleu et le jaune dans Yellow Explosion (2004), le bleu, le rouge et le noir dans Lightning (2004), le rouge encore dans Sans titre (Collision) (2004). Ces couleurs de peinture à l’huile épaisse sont généralement appliquées à l’aide d’une brosse qui laisse de fines traces horizontales à la surface du support de bois.

La force des coloris rend compte de la violence des événements, mais aussi des sentiments de l’artiste. Celle-ci communie avec le pathétique destin des marins, le tragique des naufrages en pleine tempête, et la fin dramatique des navires de guerre ou des bateaux drossés sur la côte.
Elle en vient elle-même à être submergée par la peine, à sombrer dans le désespoir, et à désespérer face à l’impossibilité de revisiter ce passé : « Mon travail se caractérise par la friction du changement et les métaphores du désespoir. […]Tant au niveau de la forme qu’au niveau du contenu, de ce qu’elles nous racontent, mes peintures capturent une passion qui devient violence pour ensuite se transformer en chaos. Cet élément de chaos est aussi ce qu’il y a de beau en elles. Elles deviennent alors des ex-votos de choses disparues dans de merveilleux accidents ». Des termes paradoxaux d’une démarche picturale révélant une fascination pour les drames de la mer et la violence des hommes et de la nature.

Whitney Bedford
— Merry Blackbeard, 2004. Encre sur bois. 46 x 38 cm.
— Lothar, 2004. Encre sur bois. 46 x 38 cm.
— Crushed (for you), 2004. Encre sur bois. 46 x 38 cm.
— L’Olonais, 2004. Encre sur bois. 46 x 38 cm.
— The Fancy, 2004. Encre sur bois. 46 x 38 cm.
— Birds (Take-off), 2004. Encre et huile sur bois. 69 x 97 cm.
— Two (Crashing in the Night) : Red, 2004. Encre et huile sur bois. 34 x 58 cm.
— Sunset Junction, 2004. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Sail, 2004. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Pool, 2004. Encre et huile sur bois. 34 x 40 cm.
— Sans titre (down under), 2004. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Purple/Purple, 2004. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Sans titre (Cloud Swamp), 2004. Encre et huile sur bois. 40 x 51 cm.
— Island, 2004. Encre et huile sur bois. 69 x 97 cm.
— Sans titre (Green), 2003. Encre et huile sur bois. 34 x 40 cm.
— L’Olonais (Eat Your Heart Out), 2004. Encre sur bois. 46 x 38 cm.
— Cast. 4, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.
— Cast. 2, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.
— Cast. 6, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.
— Cast. 11, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.
— Cast. 10, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.
— Broken Hand. 4, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.
— Broken Hand. 1, 2004. Technique mixte sur toile. 41 x 34 cm.

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