ART | CRITIQUE

White Sugar For Black Days

PLaurent Perbos
@30 Mar 2009

Dans un ensemble d’œuvres récentes sous le titre White Sugar For Black Days, Mircea Cantor utilise le béton, le dessin et la vidéo pour décliner le thème de la limite et de son dépassement, et interroger l’art.

Au travers de ses œuvres récentes White Sugar For Black Days, Mircea Cantor nous confronte à une déambulation qui met en scène des niveaux de perceptions de l’espace. En surmontant les obstacles d’un premier regard trop hâtif, et en approfondissant la relation avec l’objet présenté, nous accédons à une nouvelle manière d’appréhender l’art et le réel.

A l’entrée de la première salle, on est interpellé par l’un des Seven Future Gifts. Il s’agit d’un grand ruban de béton gris, en forme de bolduc, qui est noué autour d’un paquet-cadeau absent. La structure cubique en béton du ruban donne virtuellement corps et volume à l’absence du cadeau. L’enveloppe s’est matérialisée avant le contenu. C’est ici l’accessoire, le superflu qui donne naissance à l’essentiel. Le cadeau se donne à voir au travers de son ornement.

Mircea Cantor utilise le présent dans tous les sens du terme. Il emprisonne une partie de l’espace de la galerie dans ce module et ses sept répliques de tailles différentes. Le temps est mis en scène à différentes échelles. Petites ou gigantesques, ces armatures rigides, qui font écho à l’architecture de la grande verrière de la galerie, enferment l’instant tout en le laissant s’écouler au-delà de ses limites virtuelles.

Ce réceptacle habité par le vide est comme une parenthèse dans un texte. Il isole une partie du lieu qui se recroqueville sur lui-même. C’est un moment de réflexion, la mise en exergue d’une matière transparente et sans substance. Ce vide s’arme d’une force extraordinaire et s’impose à notre regard comme un objet plein et lourd.

Au sol, Response est composé d’une rangée d’épis de maïs sur une «mangeoire» fabriquée avec un pneu de voiture éventré. En prélevant des grains sur chaque épis Mircea Cantor inscrit une lettre sur chacun d’eux et écrit ainsi en les juxtaposant «What should we do with the pearls».
L’installation est une référence et une réponse directe à l’évangile selon saint Matthieu. Le Christ recommandait à ses fidèles de ne pas transmettre les paroles sacrées à ceux qui s’en moquent. En prenant à contre-pied l’expression «ne jetez pas vos perles devant les pourceaux», l’artiste nous prend à partie et nous demande de trouver une solution.
S’il ne faut pas  gâcher des choses en les donnant à des personnes qui n’en feraient pas bon usage, que doit-on faire ?  La phrase sainte sonne alors comme une fatalité, un constat inexorable. Le gaspillage semble inévitable puisque nous n’avons pas d’autre alternative.

Cependant, c’est aussi le statut de l’œuvre d’art qui est remis en question. Le parallèle avec le sacré n’est pas anodin. Mircea Cantor pointe avec ironie des discours de ceux qui se considèrent comme une élite. L’art est-il l’affaire de tous ou celle d’une minorité avertie? Peut-on le démocratiser et le rendre accessible au plus grand nombre? Les lieux d’exposition ouverts au grand public ne sont-ils pas devenus des espaces dans lesquels la contemplation savante est soumise aux regards sacrilèges de personnes ignorantes?

Plus loin, Easy, un story board découpé en neuf cadres, relate le saut d’un obstacle en carton par une paire de doigts qui imitent la démarche d’un petit personnage. Easy montre la facilité avec laquelle on peut  surmonter une difficulté.
La main est traitée au crayon avec réalisme et le graphite estompé par endroit traduit le mouvement et le flou qui en découle.
Le titre est à double sens. Mircea Cantor ayant fait réaliser les dessins par quelqu’un d’autre, la facilité n’est plus seulement celle qui est présentée, mais aussi celle qui est permise par l’utilisation d’images toutes faites. Quoi de plus simple que d’utiliser des images toutes faites? Le nom de l’auteur des images n’est mentionné nulle part. Seul Mircea Cantor bénéficie d’une reconnaissance. Sont ici en question les limites de l’art et du savoir-faire tout autant que les notions d’efforts et de valeur.

Dans son film d’animation Zooooooom, les personnages virtuels constituent une foule anonyme et déterminée par la même tâche. Ils s’avancent devant une pyramide tronquée, tombeau sacré par excellence, et la disloque pierre par pierre. S’agit-il d’une revanche ? La construction de ces temples a jadis mobilisé de nombreux esclaves. Ils reviennent sur les lieux parés d’une coiffe de pharaon et décident de déconstruire ce qu’on les a obligé à édifier. Ces bâtisseurs ignorés revendiquent leur légitimité face à ces monuments considérés aujourd’hui comme des œuvres d’art.
Mais soudain, un zoom arrière nous fait comprendre que le propos n’est pas si simple. L’objet de cette vidéo est tout autre. La pyramide est en fait le décor qui sert d’effigie au dollar américain. Le recul de la caméra s’accentue encore. Le billet sort de la poche d’un visiteur qui attend son tour pour acheter un billet d’entrée dans un musée.
On est ainsi brutalement confronté au marché de l’art, et de manière plus générale à notre  société de consommation actuelle, et à la décadence qui la menace.

Mircea Cantor
— Zooooooom, 2006 – 2009. Video. 3’07″
— What should we do with the pearls, 2009. corn, cut tire, wood—  Untitled (The New Times) 2009. Torn newspaper, glass and wood. Diamètre 49 cm depth 7 cm— Io, 2009. B&W diptych. 20 x 30 cm
— Easy, 2008. Dessin sur papier. 9 dessins : 60,3 x 85,5 cm chacun— 7 Future gifts, 2008. Sculpture concrète

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